Un nouveau débat s'impose sur la scène nationale : l'ingérence de la société civile dans les affaires judiciaires. Me Mohamed Fertate du barreau de Rabat nous livre ses impressions. ALM : La construction d'un État de droit exige la consécration de l'indépendance de la Justice vis-à-vis du pouvoir exécutif. Mais, actuellement, on remarque qu'outre l'administration, la société civile commence aussi à s'impliquer dans les décisions du pouvoir judiciaire. Ce phénomène est-il positif ? Mohamed Fertate : On peut dire que c'est à la fois une bonne et une mauvaise chose. Car, d'un côté, il est bon que la société civile puisse contrôler les décisions de la justice en ce qui concerne leur conformité à la loi et au respect des droits de l'Homme. D'un autre côté, c'est une mauvaise chose si son objectif est de faire pression sur la justice pour influencer ses décisions et pousser le juge à adapter ses verdicts à l'opinion publique. Pour qu'elle se limite à son premier rôle, il est donc impératif que le juge sache rester neutre face aux pressions de l'opinion publique. Mais, ce qui pose un problème essentiel, c'est le fait que le pouvoir exécutif cède face aux pressions de l'opinion publique pour changer le cours d'une affaire en justice pour satisfaire l'opinion publique. Ce fut le cas, dans l'affaire des soit-disant "adeptes de Satan". Il existe néanmoins des cas où c'est le juge qui est directement influencé par l'opinion publique. C'est le cas des affaires comme l'assassin de Chefchaouen qui a été dernièrement condamné à mort. Le danger de l'ingérence de l'opinion publique dans les affaires de la justice émane donc essentiellement de voir s'ériger des lobbies pouvant exercer des pressions sur la Justice. À ce moment, c'est le lobby le plus fort financièrement ou médiatiquement qui sera le maître de la situation, et l'on entrera dans une sorte de compétition et c'est le plus influent qui gagnera. Hormis la société civile, il y a aussi le rôle de la presse. Croyez-vous que certains écrits de la presse ont une influence sur la décision judiciaire ? L'ingérence de la presse dans certaines affaires constitue parfois une violation des droits des parties ce qui va à l'encontre de l'équité. Car, parfois, une pression médiatique peut influencer la position des juges. D'ailleurs, c'est pour cette raison que le législateur a interdit à la presse la publication des PV, par exemple.