Le Maroc lance une campagne de lutte contre le chèque en bois. Par conséquent, on va voir de quel bois se chauffent les autorités bancaires. On va voir ce que l'on va voir. Dans le système bancaire, la lutte contre le chèque sans provision est l'équivalent naturel du discours sur la moralisation de la vie publique en politique. Le Maroc lance une campagne de lutte contre le chèque en bois. Par conséquent, on va voir de quel bois se chauffent les autorités bancaires. On va voir ce que l'on va voir. Dans le système bancaire, la lutte contre le chèque sans provision est l'équivalent naturel du discours sur la moralisation de la vie publique en politique. Le point commun entre les deux arlésiennes, c'est l'existence d'une solide langue de bois. Après l'Entreprise citoyenne, morale et éthique -une invention de gauchistes reconvertis dans la sous-culture patronale-, on verra certainement apparaître le chèque patriote, nationaliste, droit-de-l'hommiste ou, carrément, déontologique. Il s'agit de renforcer la crédibilité du chèque, disent-ils. Comment cela se peut-il ?, disons nous. Le chèque n'a rien à voir dans cette affaire, c'est de son émetteur qu'il faut s'occuper. Il faut renforcer la confiance dans le chèque, c'est bien. Mais comment y arriver si le signataire de ce document n'inspire pas, lui-même, la confiance ? On parle, naturellement, de tout cela comme si la loyauté, la sincérité, la confiance, la crédibilité ou même l'honnêteté sont des qualités naturelles chez nous. Les Marocains sont loin de les cumuler toutes, alors on demande à un bout de papier, souvent sans caractère, de les incarner. On n'est pas sorti de l'auberge. Les plus grandes escroqueries dans l'Histoire du Royaume, celles qui sont à l'origine des fortunes les plus spectaculaires, ont pu se réaliser sans que le chèque, pauvre de lui, en tant que tel, ne soit incriminé. Le fonctionnaire, souvent haut, qui se sucre sur les marchés publics, n'a pas besoin de passer par le chèque en bois. Il laisse cela au petit fonctionnaire qui a du mal à boucler ses fins de mois. Le type qui monte une arnaque boursière en détroussant une compagnie d'assurances discréditant, au passage, pour longtemps, la Bourse de Casablanca, n'a pas eu besoin de chéquier. Il aboyait ses ordres à des cadors du marché. Ce n'est pas le cas du petit employé de banque qui est convoqué à l'agence du personnel pour se faire humilier par un plus fauché que lui, parce qu'il a eu un dépassement non autorisé de cent balles. Tout cela n'est pas sérieux. Lutter contre le chèque en bois, oui, mais à condition que tout ce qui est en bois chez nous soit logé à la même indignité. Les discours, les postures, les analyses, les sermons, les prêches, les programmes, les marchés, les budgets, les fortunes, les CV, les ministrables, les intellos, les militants, les managers, les experts, les conseillers, les entrepreneurs, les journalistes, les architectes, les médecins, les promoteurs, les avocats, les dentistes, les candidats, les électeurs, mon portemanteau, les décorateurs d'intérieur, les cabanes et même mon cure-dent. Vous voyez, cela fait du monde. À côté, la forêt amazonienne, ce n'est rien ou presque. Dans un pays au libéralisme tropical comme le nôtre, où l'argent, souvent sale, est devenu la valeur suprême, et où le gain rapide est devenu le vrai moteur de l'Histoire, un gars qui se fend d'un chèque en bois est presque un type normal. Il fait figure, presque, d'un honnête homme. Lui, au moins, il signe son forfait.