Alors que son pays traverse une phase particulièrement critique depuis le déclenchement du conflit, en septembre, Laurent Gbagbo reste muet. Un silence qui ne fait qu'envenimer une situation déjà explosive. «Je ne vous trahirai pas » : Lors du seul discours public qu'il a prononcé depuis son retour de France, le chef d'Etat ivoirien s'était contenté, le 27 janvier, de rassurer ses jeunes partisans. Et il n'en a pas fallu plus pour que, après trois jours de violentes émeutes, les « patriotes » se sentent effectivement soutenus par leur dirigeant. Aux barrages et aux marches spontanées de « jeunes excités» ont succédé des manifestations de grande ampleur, à l'image de celle qui a rassemblé, samedi dernier, plusieurs centaines de milliers de personnes dans les rues d'Abidjan. Lundi, c'était au tour de quelque 5.000 femmes de protester devant la représentation diplomatique française de la capitale économique, toujours contre les accords de Marcoussis. Confortés par le silence de leur président, certains Ivoiriens ont parallèlement continué de s'en prendre à tous les symboles français du pays - de l'ambassade en passant par les centres culturels et les écoles – provoquant les premières évacuations de ressortissants de l'Hexagone, jeudi dernier. Ils ont aussi profité du désordre général pour chasser les quelques immigrés burkinabé encore présents, malgré les exactions dont ils ont été victimes depuis septembre. Ce que le président n'a pas encore officiellement dit - son discours à la Nation a été plusieurs fois repoussé -, ses partisans le crient quasi-quotidiennement depuis dix jours : non à un plan de paix imposé par la France, non à la présence des rebelles dans le futur gouvernement d'Union nationale. Le porte-parole de Laurent Gbagbo a encore souligné lundi qu'il était nécessaire de «renégocier certains points » des accords de Marcoussis. Le sujet qui fâche étant surtout l'attribution aux rebelles du Mouvement patriotique de Côte d'Ivoire, des portefeuilles de la Défense et de l'Intérieur. De simples « propositions », terme employé par le chef d'Etat dans son discours du 27 janvier, auxquelles se sont opposées un grand nombre de formations politiques et l'armée loyaliste, la semaine dernière. De déclarations en rumeurs, le MPCI a quant à lui été taxé lundi de vouloir se contenter des postes de ministres délégués sur les deux portefeuilles polémiques. « Il n'a jamais été question de remettre en cause les acquis de Marcoussis et de Paris ou de les renégocier », a répondu Guillaume Soro, le secrétaire général du mouvement mardi. « Le MPCI tient à rappeler qu'à l'issue de la table ronde de Linas-Marcoussis et du sommet des chefs d'Etat de Kléber à Paris, sept ministères au total lui ont été attribués, dont les ministères d'Etat chargés de la Défense et de la Sécurité. Les noms des personnalités proposées pour occuper tous les sept ministères ont été déjà communiqués au Premier ministre Seydou Diarra » a-t-il précisé. Sept et non deux ministres « rebelles » dans le futur exécutif ? Le MPCI, qui contrôle à lui seul la moitié nord du pays depuis le soulèvement du 17 septembre, ferait-il à son tour dans la surenchère politique ? Accusée de vouloir imposer « sa » paix aux Ivoiriens, la diplomatie française a une nouvelle fois demandé lundi au dirigeant ivoirien de « s'engager résolument dans la voie de la réconciliation ». « Nous avons pris une initiative pour réunir l'ensemble des Ivoiriens, ils sont parvenus à un accord. Il faut maintenant le respecter », avait déjà souligné la veille le ministre des affaires étrangères Dominique de Villepin. Du côté de l'ONU, le secrétaire général Kofi Annan a qualifié lundi les accords de Marcoussis de « premier pas important vers la paix et la stabilité ». L'Union africaine, réunie à Addis-Abeba, a, elle aussi, exhorté mardi « outes les parties » en Côte d'Ivoire « à honorer les engagements pris » en France. Les dirigeants africains ont également appelé les différentes parties en Côte d'Ivoire à « créer un environnement favorable pour l'application rapide » de cet accord. Le pays est pourtant loin de se diriger vers une réconciliation nationale dont les chancelleries occidentales semblent les seules à encore parler. Au milieu de ce brouhaha quotidien assorti de vieilles rancœurs ethniques et religieuses, un seul homme semble, en tout cas, préférer garder le mutisme en Côte d'Ivoire : le président.