Le nouveau Premier ministre ivoirien devait arriver ce vendredi à Abidjan pour former le gouvernement d'Union nationale malgré la généralisation des opposants à l'accord de Marcoussis. Paris a confirmé jeudi la venue du nouveau chef du gouvernement, précisant que Seydou Diarra allait consulter le président Gbagbo et les différents partis du pays pour l'attribution des différents portefeuilles ministériels. Le porte-parole du Quai d'Orsay, François Rivasseau, a dans le même temps rappelé que l'accord de paix avait été « unanimement adopté par toutes les forces politiques ivoiriennes » en vue de la «réconciliation nationale». Reste qu'aujourd'hui, deux problématiquent s'imposent. La France a-t-elle choisi la mauvaise méthode pour réconcilier les Ivoiriens en imposant cet accord aux délégués du pouvoir, à ceux des principaux partis, et ensuite au chef d'Etat lui-même ? Ou au contraire, ces derniers ont-ils sciemment attendus d'être de retour dans leur pays pour dénoncer un texte qu'ils avaient pourtant signé en connaissance de cause ? Car depuis l'annonce de ce fameux plan de paix, les seules parties qui affichent leur satisfaction sont les trois mouvements rebelles -le MPCI, qui contrôlent le Nord, le MPIGO et le MPJ implantés dans l'Ouest- et le parti de l'opposition du Rassemblement des républicains, dirigé par Alassane Ouattara. Pour les autres, la semaine a été rythmée par une série de volte-faces confortées par le mécontentement d'une partie de la population. Lundi soir, les mesures prises à Marcoussis n'étaient plus que «des propositions» selon le président. Mardi, il n'était plus question que les rebelles fassent partie du gouvernement, d'après l'armée loyaliste. L'accord est devenu «nul et non avenu», dixit le ministre de l'intérieur, parachuté au Togo par Laurent Gbagbo pour plaider sa cause. Mercredi, pas moins de cinq partis ont à leur tour annoncé leur refus de tout plan de paix accordant aux rebelles les ministères clés de la Défense et de l'Intérieur. Ces deux portefeuilles ont été «négociés» à Paris sans qu'ils ne soient pour autant officiellement attribués à quiconque. «C'est le sommet des chefs d'Etat (des 25 et 26 janvier) qui a d'autorité désigné le Premier ministre, réparti les ministères et attribué d'office les deux postes de la Défense et de l'Intérieur au MPCI» ont écrit les cinq formations signataires des accords -le FPI de Laurent Gbagbo, le PDCI d'Henri Konan Bédié, l'UDPCI, le MFA et l'UDCY- dans un communiqué commun. Guillaume Soro, dirigeant du MPCI, a dit son incompréhension devant ces revirements en cascade. « Cette décision n'a été imposée par personne (...) C'est en ma présence que M. Gbagbo a décidé librement de nous accorder la Défense et l'Intérieur», a-t-il déclaré mercredi. «Nous ne sommes pas dupes, les manifestations sont encouragées par ceux qui ont intérêt à ce que les accords ne soient pas appliqués, en l'occurrence M. Gbagbo lui-même», a-t-il ajouté. Du côté de l'intéressé, on n'est évidemment pas du même avis. Le conseiller présidentiel Toussaint Alain a répondu que le chef d'Etat avait «simplement pris acte des choix préparés par les présidents Jacques Chirac et Omar Bongo (Gabon), le ministre français Dominique de Villepin et le secrétaire général de l'ONU Kofi Annan». Le président ivoirien, incapable de mater les rebelles, aurait donc été mis devant le fait accompli? Le chef d'Etat sénégalais s'est invité mercredi dans les débats en déclarant que ni lui, président en exercice de la CEDEAO, ni les autres dirigeants ouest-afircains présents au sommet parisien n'avaient été «consultés». «Lorsque le président Gbagbo nous a annoncé son gouvernement, nous l'avons soutenu» a précisé Abdoulaye Wade. Après quatre jours de violentes manifestations, les émeutiers se sont pour leur part calmé mercredi. Ils ont décidé de suspendre leurs rassemblements et les barrages sauvages qu'ils avaient établi dans plusieurs artères d'Abidjan. Pour deux raisons. D'abord parce que l'accord initié par la France était remis en cause par presque toutes les composantes du pays. Ensuite parce que la période a coïncidé avec le versement des salaires : jeudi, banques et commerces ont donc pu réouvrir. Ce calme reste toutefois précaire, les manifestations de milliers de «jeunes patriotes» pouvant reprendre à Abidjan -ville où la communauté française est le plus concentrée- ou ailleurs à n'importe quel moment. Tout en rassurant ces quelque 20.000 ressortissants, le Quai d'Orsay a lancé les premières opérations d'évacuation. Plus de 260 Français, en majorité des femmes et des enfants - sont ainsi arrivés jeudi à Paris. «Pas de menaces directes», mais de la «tension» et un sentiment d'«insécurité» sont les principales impressions recueillies auprès de ces rapatriés. Reste que la diplomatie comme la communauté françaises sont désormais otages d'une situation qui peut à tout moment dégénérer. Et replonger la Côte d'Ivoire dans une guerre qui dépassera certainement ses frontières.