«Le désenfantement» est le titre d'un récit autobiographique qui retrace une expérience grave. Une mère raconte sa douleur après la mort de sa fille. Elle entraîne le lecteur dans un univers sans concession où rien ne console d'une séparation absurde. Le livre est non seulement dévoué à une personne, mais il est sorti d'une maison édition qui porte son nom. Oui, le nom de la « protagoniste » du livre est le même que celui de l'éditeur. L'illustration de la couverture est également signée par cette personne. On pourrait croire qu'il s'agit de la performance d'un artiste contemporain, mais à la lecture des premières pages l'on se rend compte que toute idée de ludisme est écarté du « Désenfantement ». Il s'agit d'un récit grave, où une mère crie sa douleur après la perte de sa fille, âgée à peine de 15 ans et demie. La voix de l'auteur entraîne d'emblée le lecteur dans une expérience de la douleur. Une douleur lucide, implacable, qui ronge celle qui en souffre, mais qui subit aussi un traitement sans trémolo, sans complaisance, de la part de celle qui l'endure... Rita El Khayat ne réclame pas la compassion du lecteur, encore moins l'identification, mais peut-être seulement le fait de se laisser imprégner par des mots qui disent la douleur d'une mère. Une douleur à laquelle l'auteur oppose un cortège de mots pour la nommer. Rita El Khayat est ainsi l'observatrice intrépide de cette douleur. Elle constate ses effets : « Ma décrépitude va être accélérée par ce broiement constant dans ma poitrine ». Elle refuse de faire le deuil de sa fille : « Si je prenais le chemin de la consolation, je ne serai qu'une mère indigne d'elle et indigne de moi-même. Ce sont ceux qui ne savent pas aimer qui se sentent un jour apaisés », écrit-elle. Et le livre entier porte les traces d'un terrible combat. Combat, non pas pour vivre, non pas pour éviter de succomber à la tentation du suicide, mais pour trouver l'énergie de ne jamais se consoler de la perte d'une personne. Combat aussi pour moins souffrir d'une disparition tout en gardant vivace la présence de la disparue. C'est de là que vient l'un des aspects les plus touchants dans le livre : l'affrontement paradoxal entre le mal et sa cause dont on ne veut pas guérir. Rita El Khayat va nommer les livres qu'elle a lus pour mieux se familiariser avec la mort. Elle nomme aussi les amis qui l'ont soutenue dans cette épreuve. Mais la violence des mots dont elle use reste peut-être sa meilleure revanche sur cette situation. À l'impudique mort, l'impudeur des morts : « Et la terre est une chienne dont le vagin happe, constricte et ne relâche plus celui qui y est fourré ». L'auteur violente dans son irascibilité le monde et les personnes qui l'entourent. Elle garde par moments son humour : « Je n'ai pas la larme facile… et pourtant j'use une boîte de Kleenex par jour, il paraît que l'industrie du mouchoir en papier n'a jamais été aussi florissante ». Mais le ton qui traverse le livre de la première jusqu'à la dernière page est celui de la gravité. Le revers de ce genre de douleur intense, exacerbée, se trouve dans leur caractère exceptionnel. Ceux qui en souffrent y voient un signe du destin. Les poètes maudits ont tant savouré les délices d'un soleil noir. Dans la douleur, le moi s'hypertrophie en même temps que les paupières. Rita El Khayat, en femme amputée de sa partie à laquelle elle était le plus attachée, crie sa douleur unique et exclusive. « Moi je suis en dehors de tous les deuils possibles ». Mais seul un lecteur insensible peut lui tenir rigueur de cela. L'auteur nous prévient :« je n'ai aucune envie de plaire à celui qui laisserait traîner un œil sec sur ces mots trempés ».