Mostafa Zaoui, enseignant universitaire et membre du Comité central du PPS, contribue au débat lancé par ALM (voir n° 280), sur l'Etat et la démocratie. Voici la première partie de cette contribution. «La démocratie marocaine devra-t-elle, nécessairement, se bâtir sur l'affaiblissement de l'Etat et des institutions?». Une question que la rédaction du journal « Le Maroc-Aujourd'hui » a choisie comme thème de débat en la posant d'abord à un certain nombre de personnalités de différents horizons. Dans ce qui suit, et comme contribution à ce débat, je reprendrai globalement la thèse de beaucoup des intervenants ayant déjà contribué, à savoir qu'une chose au moins est évidente, politiquement parlant, qu'un Etat fort est toujours nécessaire pour la société. La question se réduirait, alors, à ce que l'on entend par Etat fort. Les hommes politiques ainsi que tous les spécialistes de philosophie politique conviennent que toute nation est définie, en plus d'un territoire couvrant l'espace d'identification physique et naturel d'une population, de la société humaine formée par cette population, d'un Etat régulateur des comportements et des relations entres individus et collectifs au sein de la société et, enfin, d'un système de valeurs communes qui identifient cette société. Ces valeurs communes, au Maroc, ont pour socle l'Islam sunnite-malékite tel qu'il s'est intégré et tel qu'il a évolué tout au long de plus de 13 siècles et avec la forme étatique qu'il a produite et développée surtout à partir du XVIème siècle avec les Chorfas Saâdiens et les Alaouites. Cette détermination historique, avec ses spécificités, constitue toujours un ancrage culturel, juridique et politique dominant dans notre pays. Ce n'est, d'ailleurs, pas par hasard si les deux grands philosophes du rôle de l'intérêt dans la vie et dans l'évolution de la société étaient des « marocains ». Au niveau politique, c'était Ibn Khaldoun avec sa sociologie de l'intérêt dans l'évolution politique. Au niveau juridique, c'était Ach-Chatibi, qui avec sa théorie des «maqaçid» de la législation et donc de l'exercice du pouvoir et qui se réduisent à une recherche de la «maçlaha», y compris la préservation et la promotion des droits essentiels de l'Homme, a consolidé l'universalité du malékisme comme école juridique ouverte sur l'évolution sociale. Une école juridique qui n'a pas la prétention de confiner la société dans des schémas « salafis» mais qui épouse les exigences socio-culturelles évolutives au sein de la société. Dans cette même théorie des «maqaçid», Ach-Chatibi explicite que les droits de l ‘homme à la préservation de sa vie, de ses croyances, de sa raison, de ses biens et à la procréation étant inaliénables comme un octroi du créateur (Dieu). La préservation et la promotion de ces droits essentiels et les droits nécessaires qui confortent ces droits essentiels ont une exigence que Ach-Chatibi n'hésite pas à mettre au même titre que les autres droits de tout être humain. Cette exigence c'est le droit des individus et des collectivités qui forment cette société à un Etat arbitral et promoteur de tous les autres droits individuels et collectifs. Un Etat qui doit se doter d'un système juridique et réglementaire et d'institutions (ou appareils) qui lui permettent d'opérer au sein de la société. Donc, et pour résumer, au sein de cette trilogie qu'est Etat-Système de Valeurs (ou religion au sens large)- Société, la production de la culture (au sens le plus large aussi, à savoir les comportements et activités naïfs ou élaborés grâce au savoir et au savoir-faire) se fait au sein de la société. C'est donc la société, grâce à l'ensemble des activités et innovations de ses individus et de ses collectivités qui imposent aussi bien à l'Etat de promouvoir ses instruments ou ses institutions, ce qui à son tour exige une adaptation du système de valeurs à «la maçlaha » exprimée des populations. Et ce n'est pas Marx, seul, qui a découvert cette «idée», puisque Ibn Khaldoun avait déjà réservé plus du tiers de sa muqaddima à un répertoire des sciences, des arts et métiers dont la promotion influence la force de la civilisation d'une société et, par conséquent, influence la force de l'Etat. • Mostafa Zaoui