Mostafa Zaoui, enseignant universitaire et membre du Comité central du PPS, contribue au débat lancé par ALM (voir n° 280), sur l'Etat et la démocratie. Voici la deuxième et dernière partie de cette contribution. À Aujourd'hui, au Maroc, lorsque l'on se pose la question de savoir si la démocratie doit passer par l'affaiblissement de l'Etat, surtout au lendemain des élections du 27 septembre 2002 et la constitution du gouvernement Jettou qui succède au gouvernement dirigé par Abderrahman Youssoufi, on se pose, en fait des problèmes de fond qui ont trait à notre culture politique dominante qui semble de plus en plus buter sur des réalités têtues. Dans une étape de modernisation, d'adaptation et de renforcement de l'Etat, comme c'est le cas aujourd'hui, la problématique posée pour ce débat nécessite une approche complètement différente et en profonde rupture avec cette culture traditionnelle des fouqaha. Elle fait appel à une appréciation plus fine des différents rôles que doivent jouer les différents opérateurs au sein de la société. A ce niveau, il serait extrêmement préjudiciable, au niveau politique, de sous-estimer la complexité du système démocratique. En effet, une société régie par la garantie, ne serait-ce que relative, des droits et des libertés individuels et collectifs, ne peut être gérée par une vision simpliste du rôle des partis politiques ni par une gestion grossière de la part des institutions. En effet, et lorsqu'on décortique ce qu'est l'Etat démocratique moderne, et en simplifiant au maximum, on peut dire que cet Etat est la somme d'un certain nombre d'institutions qui, du point de vue politique, sont de deux natures foncièrement différentes. Il y a, d'abord, les «institutions» tels que le système judiciaire, le système éducatif, le système administratif, les différents appareils répressifs et de sécurité etc. Ce sont des institutions où la règle est le despotisme des moyens, du savoir, du savoir-faire et des compétences. Elles sont, de par leur nature, réfractaires à toute démocratisation. Il y a ensuite les institutions représentatives telles que les conseils des collectivités locales, le Parlement et dans une moindre mesure l'institution gouvernementale. Ces dernières sont le lieu et l'espace démocratique. Elles constituent l'enjeu principal des partis politiques au niveau des institutions. Cet enjeu se décline en un enjeu de représentation des «catégories» socio-culturelles qui constituent une société. D'où la complexité du système démocratique qui instaure la compétitivité des opérateurs politiques pour gagner les faveurs d'une société civile en mutation constante suite à l'évolution du savoir et du savoir-faire au sein de la société. Un parti politique est un groupement d'hommes et de femmes qui partagent les mêmes idées sur l'organisation et la gestion de la société et qui cherchent à les faire triompher en accédant, seuls ou en coalition, au pouvoir. Il diffère des autres organisations dites de la société civile ou des différents groupes de pression qui se bornent à influencer la décision sans en revendiquer l'exercice ou la responsabilité. Comme fonction, la meilleure formulation constitutionnelle reste celle qui figure dans la constitution de l'Allemagne, et qui précise que les partis politiques concourent à la formation de la volonté politique du peuple. Ces définitions nous amènent, tout naturellement, à préciser deux notions qui sont différentes mais qui peuvent soit s'imbriquer l'une dans l'autre soit s'opposer, à savoir la notion de volonté collective et la notion de volonté générale. Un parti politique, ou une coalition, en tant que collectivités d'individus partageant les mêmes idées sur l'organisation et la gouvernance de la société, expriment une volonté collective. La décision politique d'un parti exprime donc une volonté collective. Quant à la volonté générale, elle est l'expression de la volonté essentielle de tout le peuple, et non pas seulement de celle de certaines collectivités et donc de certains partis. La volonté générale est ce qui est communément exprimé chez nous par le terme consensus. Une volonté collective peut donc conforter une volonté générale ou un consensus ; elle peut les contrecarrer. La société civile devient ainsi un enjeu politique majeur pour promouvoir les «volontés collectives» que sont les grands acteurs politiques, en particulier les partis politiques. Evidemment, dans ce contexte caractérisé par la complexité du système politique démocratique où les intérêts socio-économiques collectifs des catégories socio-professionnelles et les intérêts des catégories socio-culturelles s'expriment de façons plus ou moins nettes et où les élites jouent un rôle de plus en plus grand dans la détermination des courants d'opinion, des auteurs vont jusqu'à parler de «marché politique» à l'image du «marché économique». Les opérateurs politiques, et comme le rappelle la constitution allemande, «concourent à la formation de la volonté politique du peuple», et dans certaines conditions socio-culturelles où «le citoyen générique n'est pas toujours apte à se prononcer sur la plupart des questions importantes en matière politique n'ayant de celles-ci qu'une représentation élémentaire basée sur une pensée associative et affective», ils (c.à.d. les partis politiques) seraient «capables de modeler et même, dans une large mesure, créer la volonté du peuple », selon la formule de Schumpeter dans son livre Capitalisme, Socialisme et Démocratie. • Mostafa Zaoui