Le patron d'une agence de voyages de Casablanca, qui jouit pourtant d'une bonne réputation auprès de ses confrères, a détourné l'argent d'une centaine de candidats au pèlerinage. Devenues récurrentes, les escroqueries de ce type posent de nouveau le problème de l'encadrement de la Omra. Personne ne veut croire à une escroquerie. Pourtant, les faits sont accablants. Les escroqués existent. Ils crient, gesticulent, demandent justice, investissent, depuis jeudi dernier, les locaux d'une agence de voyages. Refusent de quitter Leicester Tour, située 112 rue Al Arar (ex. Guy Lussac), avant qu'on ne les transporte vers La Mecque. Les escroqués, ce sont soixante-dix Marocains qui voulaient s'acquitter de la Omra avec l'assistance d'une agence de voyages, réputée sérieuse. Ils sont venus de Ouarzazate, Oujda, Marrakech, Tanger et Agadir, justement pour éviter le calvaire qu'ils vivent en ce moment. Les atermoiements de Miloud Touil, propriétaire de l'agence, ont commencé avec une histoire de visa pour l'Arabie saoudite. Ce pays aurait mis du temps à délivrer un droit d'entrée aux pèlerins marocains. Ces derniers n'ont pas mordu à l'hameçon. Ils ont refusé de payer, avant qu'on ne leur rende leur passeport dûment visé. Ils devaient partir le jeudi 23 octobre, ils ont dû patienter jusqu'au lundi 27 octobre, avant que Miloud Touil ne leur remette leur passeport avec un visa pour l'Arabie saoudite. Tous ceux qui hésitaient à payer ont alors sorti de leurs poches entre 10.000 et 20.000 DH. Le voyage était enfin programmé le jeudi 27. «En fait deux voyages étaient programmés, l'un fictif et l'autre réel», nous dit l'une des victimes, hadj Senhadji. Le fictif, c'est celui des pèlerins qui se sont rendus à l'agence, vainement équipés de leurs bagages. Le réel, c'est le voyage de Miloud Touil qui a quitté fièrement le territoire marocain par l'aéroport de Nouasser. Les employés de l'agence ont expliqué aux pèlerins, venus réclamer leurs billets d'avion, que le propriétaire s'est évaporé dans la nature. Quelle surprise ! Aucun de ses nombreux téléphones mobiles ne répondait. Affligés par cette nouvelle, les candidats à Al Omra ont refusé de quitter les lieux, avant qu'on ne leur donne leurs billets. Ils se sont immédiatement organisés. Les femmes dorment à l'intérieur de l'agence, les hommes dans le hall de l'immeuble. Alertées par ce sit-in, les autorités ont eu du mal à croire à une escroquerie perpétrée par Miloud Touil. « C'est l'un des meilleurs opérateurs de la ville. Cela fait des années qu'il achemine les voyageurs à destination sans problème », dit un responsable de la police. Les pèlerins montrent de surcroît un contrat signé entre Miloud Touil et le propriétaire d'un hôtel en Arabie saoudite. Ce contrat, dont le montant s'élève à 270.000 DH, garantit aux pèlerins un lieu d'habitation à La Mecque. Si ce contrat se révèle authentique, il serait absurde de penser qu'une personne qui projette d'arnaquer d'autres se décharge allègrement de 27 millions de centimes. Que s'est-il passé alors ? Selon une source autorisée, Mohamed Touil devait de l'argent à Egypt Air qui aurait dû transporter les pèlerins de Casablanca jusqu'à Jeddah. Cette compagnie aurait encaissé l'argent des billets de 70 candidats, qui a à peine suffi à couvrir les dettes antérieures de l'agence de voyages marocaine. Egypt Air aurait ensuite refusé de faire bénéficier l'opérateur marocain d'un autre crédit. Face au mur, ce dernier aurait préféré fuir au lieu d'expliquer la situation à ses clients. Cette version ne convainc pas tout le monde, parce que Mohamed Touil ne manque pas de liquidité. À preuve, il a déjà encaissé l'argent de quelque 130 personnes en partance pour le Hadj. La nouvelle réglementation stipule que les futurs hadjs s'acquittent des frais de leur voyage et séjour, des mois à l'avance. Et là Miloud Touil n'a pas encaissé les 10.000 ou 20.000 DH d'Al Omra, mais entre 30.000 et 40.000 DH. Si on additionne les sommes versées, on atteint facilement les 10 millions de DH. D'ailleurs les candidats au hadj commencent à s'inquiéter. Selon Mohamed Boumzzgane, l'accompagnateur des pèlerins, ils viennent aux nouvelles. Ce dernier ajoute que l'associé de Mohamed Touil, un certain Mohamed Salem Lfridi, leur a promis de trouver les billets d'ici mardi. Il négocie avec eux via un intermédiaire nommé Samia. Les 70 candidats à Al Omra espèrent beaucoup de cet homme. En attendant, les femmes continuent de passer les nuits froides de novembre dans les locaux de l'agence Leicester Tour. Elles sont loin de leurs proches, en proie à la soif et à la faim. Et ce triste spectacle des escroqués de la foi risque de se répéter l'année prochaine, tant qu'une réglementation rigoureuse ne tempère pas la tentation à l'arnaque.