Interview. Le secrétaire de la CDT et délégué du personnel à la SAMIR, Houssine Yamani, n'y va pas avec le dos de la cuillère pour accabler la direction de la SAMIR. Celle-ci aurait, selon lui, failli à sa mission de prévention, de sécurité et de maintenance en privilégiant la rentabilité sur la sécurité. ALM : la direction de la SAMIR a expliqué les causes de l'incendie par un contact de la nappe hydraulique avec des structures encore chaudes. Etes-vous d'accord avec cette version? Houssine Yamani : Sur la cause directe, il s'est avéré effectivement que c'est la puissance du débit de l'eau mélangée à l'hydrocarbure qui a provoqué l'incendie au contact des unités. Mais la véritable cause provient d'une erreur humaine et ne peut être imputée au hasard si la direction avait vraiment pris les précautions nécessaires. Le premier feu s'est produit quand la nappe du pétrole brut a atteint l'unité catalytique encore chaude puisqu'en fonctionnement, la chaleur peut atteindre 400 degrés Celsius. Si on avait arrêté à temps cette unité, elle serait refroidie au moment où le niveau de la nappe aurait touché ses structures et rien ne se serait produit. Il en est de même pour le deuxième feu qui a été suivi d'explosions et qui s'est enclenché au contact de la nappe avec une masse électrique. Le directeur d'exploitation, M Mhaidra, aurait dû donner l'ordre d'arrêter le fonctionnement de la centrale électrique aux deux opérateurs qui ont péri dans l'incendie. Mais il ne l'a pas fait alors qu'on était en contact avec les deux victimes vingt minutes avant l'explosion. Aussi il ne faut pas que la direction de la SAMIR leurre l'opinion publique en essayant de voiler les véritables raisons qui ont été derrière cette catastrophe. Depuis l'arrivée de M Abderrahmane Saaidi, on vit une situation de grève de travail non déclarée par la direction qui a entraîné des négligences cumulées qui ont engendré l'accident de lundi. Par souci de rentabilité et de réduction des dépenses d'exploitation, la direction a commis des erreurs graves qui ont accentué la vulnérabilité des installations de l'usine. Avez-vous prévenu la direction contre les dangers de ces négligences? Le syndicat ne parle pas dans le vide comme vous l'a dit Saaidi, puisqu'il l'a averti depuis des mois des conséquences fâcheuses de sa gestion. Il ne peut pas le nier puisque nous avons adressé des correspondances au ministre de l'emploi et à celui des affaires générales dans lesquelles nous les mettons en garde contre les dangers qu'encourt la raffinerie par une gestion désastreuse de ses ressources humaines et matérielles. Dans ses lettres datées du 3 août 2002 nous avons fermement alerté les deux ministres en ces termes ; «... Nous vous réitérons notre avertissement sur la probabilité d'une catastrophe sociale à la société SAMIR dont les flammes pourraient menacer l'approvisionnement du marché national en hydrocarbures. Elle pourrait même porter atteinte à la sécurité des employés, des riverains et des installations avoisinantes», Mais personne n'a daigné nous écouter et vérifier les défaillances graves en matière de maintenance et d'entretien des installations sensibles de la raffinerie... Concrètement quelles sont ces défaillances ? D'abord il y a eu une surexploitation des unités de productions dont la plupart sont vétustes et datent des années soixante et les plus récentes remontent au début des années quatre-vingts. On ne respecte plus les normes de sécurité en ne mettant pas en arrêt une installation pour une période déterminée d'entretien. Pis encore, on est allé jusqu'à dépasser sa capacité de production, ce qui a entraîné inexorablement la détérioration de ces unités. Ajoutez à cela le manque d'entretien et surtout de l'entretien préventif qui devait s'effectuer sur la base d'un programme annuel. Pis encore ce service de la maintenance est devenu une véritable mafia constituée en réseaux qui s'accaparent l'entretien pour s'entretenir et non pas pour la maintenance de la raffinerie. Et puis il y a évidemment cette réduction massive du personnel qui est fortement lié à la diminution des moyens de sécurité. L'effectif de la SAMIR a été réduit de 50 % de 1997 à 2002 sans que l'on tienne compte de ses conséquences fâcheuses sur la bonne marche de la société. Même l'équipe d'intervention en cas d'alerte, qui était constituée de neuf personnes, à été réduite à trois ou quatre personnes. La raffinerie peut-elle fonctionner comme avant dans des délais assez raisonnables ? Les dégâts sont énormes car la centrale électrogène a été complètement ravagée, trois bacs de stockage ont été détruits et les câblages des unités complètement détériorés. Pour vous donner une idée de l'ampleur des dégâts, en mars 2002 une unité de distillation a pris feu au contact du brut avec la jonction électrique. Ceci pour vous dire que l'incendie de lundi n'est pas une première et qu'on pouvait l'éviter si la direction n'avait pas voulu économiser de l'argent. Pour revenir à l'unité de distillation qui a pris feu, il a fallu quatre mois pour la réparer et subir un déficit de 1000 tonnes de production par jour. Quand on connaît l'ampleur de l'incendie de lundi, il faut comprendre que toute une industrie a été ravagée et qu'il faut au moins un minimum de six mois pour que la SAMIR puisse pouvoir démarrer. Le directeur de la SAMIR, Abderrahmane Saaidi, doit regretter aujourd'hui ce qu'il disait au syndicat : «parlez-moi de tous les problèmes sauf celui de la réduction du personnel et de la sécurité».