Le président a su préserver son autorité, tout en laissant aux prévenus une si large liberté d'expression que bien des observateurs européens ont été étonnés. A l'heure où nous écrivons ces lignes, nous avons quitté Rabat depuis mercredi dernier et n'avons pas assisté aux audiences d'hier lundi, et d'aujourd'hui mardi. Mais nous apprenons que plane sur ce procès la menace des accusés et de leurs avocats de ne plus vouloir y assister. C'est leur droit comme c'est celui de la justice d'y contraindre les premiers et de réquisitionner les seconds. Ces développements actuels du procès de Gdim Izik ne nous surprennent cependant pas. Nous en avions perçu les prémices la semaine dernière, lundi, à partir de 16 h plus exactement. De quoi s'agit-il ? Les accusés et leurs avocats ont retenu une stratégie de défense maximaliste qui consiste à nier tous les faits, toute participation, et à renverser la responsabilité de l'ensemble des événements à un complot de l'Etat marocain. Cette démarche, à caractère trop politique, a montré ses faiblesses dès les premiers jours du procès. Dans les premières audiences, elle a pu cependant faire illusion, les prévenus se moquant de la Cour, en niant en bloc toute accusation de participation. On sentait bien que leur objectif n'étant que médiatique, ils ne visaient que la presse internationale et les observateurs étrangers. Mais ceux d'entre nous qui ont le souci d'une analyse indépendante, n'ont pu que voir dans cette défense monolithique la marque d'une organisation collective et une absence totale de vérité. La question a été alors de savoir jusqu'à quand cet artifice pourrait tenir ? Tant qu'il s'est agi d'interroger les prévenus sur leur identité et leurs activités le jour des faits criminels, le tribunal a souvent ressemblé à une scène de théâtre antique. Les prévenus ont su habilement user de formules qui marquent les esprits et qui ont pu faire rire jusqu'à la Cour et les procureurs et parfois les avocats des parties civiles. Mais les juristes qui savent qu'un procès pénal a une logique autre que ponctuelle, parce qu'elle est rythmée par le temps et par la rigueur de l'analyse des faits et des interrogatoires, savaient que ces exercices ne dureraient pas plus que des feux de paille. Fort de ce principe, le président a su préserver son autorité, tout en laissant aux prévenus une si large liberté d'expression que bien des observateurs européens ont été étonnés. Il est vrai que la procédure dans ce procès tient plus à des pratiques anglaises que françaises et continentales. Depuis 2011 et sa nouvelle Constitution, depuis 2012 et son nouveau code de procédure pénale, le Maroc innove en effet sur bien des points et notamment sur celui des droits de l'Homme. On a ainsi pu sentir très tôt un président, sûr de lui, maître du jeu, mais profondément libéral. Aucune des parties ne peut ainsi soutenir qu'elle n'a pas reçu le traitement le plus équitable. De sorte que ce jeu de la défense a plutôt renforcé le tribunal qu'il ne l'a gêné. Le temps étant en toutes choses le maître, y a ainsi mis fin, tout naturellement puis-je dire. Avec les premiers témoins, le château de cartes s'est effondré. Ce fut plus exactement, je le redis, lundi dernier, lorsque l'un d'eux a fermement reconnu l'un de ses agresseurs armé d'un 4X4 et qu'il a fait état de la marque de celui-ci et de sa couleur. Le procès a changé de nature en cet instant. Il devint tragique. D'autant qu'un jeune auxiliaire des forces de police a trouvé la mort en ces circonstances auprès du témoin. Et, les jours qui ont suivi, l'exercice s'est répété. Les faits ont été installés au cœur du procès, durs et violents, rejetant nécessairement dans l'ombre les abstractions générales, les slogans et les négations. La force d'un procès équitable s'est révélée à Rabat la semaine passée. Cette stratégie de défense aurait pu convenir dans un procès de Moscou ou encore d'une dictature féodale ou militaire. Elle n'a aucun sens lorsque l'intention supérieure de la Cour est d'offrir une tribune aux droits de l'homme. Ce qui explique qu'aujourd'hui la défense soit dans un cul-de-sac. Les prévenus et leurs conseils peuvent-ils admettre alors qu'il y a deux logiques bien distinctes, politique et judiciaire. Que la première est étrangère à la seconde. Qu'elle renvoie à des périodes révolues où l'appareil judiciaire n'avait pas la légitimité du droit. Alors, de deux choses l'une, soit c'est l'intérêt de chacun des prévenus qui prédomine, soit c'est celui de quelques enjeux politiques, plus étrangers que nationaux. La sagesse voudrait qu'ils méditent sur les risques encourus. (*) Avocat au Barreau de ParisObservateur pour le compte du Conseil national des droits de l'Homme