Applaudies par tous, les audiences publiques n'en suscitent pas moins des réserves. Pour certains, le risque de dérapages auxquels elles peuvent donner lieu est réel. Pour d'autres, elles auraient passé à côté d'une rare occasion de dire toute la vérité. Initiative on ne peut plus louable, marquant solennellement une rupture sans retour possible avec des pratiques qui appartiennent désormais au passé, les audiences publiques n'en posent pas moins plusieurs questions, liées à certains aspects de leur déroulement et à la suite à donner à un processus qui ne date pas d'aujourd'hui. Sans aller jusqu'à en contester la démarche ou les objectifs, certaines parties mettent en question cette initiative. Les raisons ne sont pas les mêmes, mais l'appréhension, ou le scepticisme, restent de mise. Parmi les craintifs, El Mehjoubi Aherdane, secrétaire général du Mouvement national populaire (MNP) et témoin vivant de toute une époque du Maroc indépendant. Ce dernier fait valoir un argument à double facette : sécuritaire et humain. Il oppose à l'enthousiasme qui accompagne ces audiences les risques de dérapages auxquels les témoignages peuvent donner lieu. «Je demande à voir si cette démarche de dénonciation et d'exorcisme va s'arrêter sur cette époque noire de notre Histoire ou si ce n'est que le début d'un cycle qui continuera indéfiniment», nous a-t-il déclaré. Et d'ajouter qu'il existe un risque de voir une approche visant à réconcilier les Marocains avec un passé pas si lointain se transformer en confrontation qui risque d'envenimer, au lieu de l'éteindre, la polémique autour du passé, alors qu c'est au futur que les regards doivent être tournés. M. Aherdane n'en marque pas moins son espoir que ces audiences se déroulent dans les meilleures conditions et que les résultats escomptés, à savoir jeter la lumière sur les atroces violations des droits de l'Homme qu'a connues le Maroc, sensibiliser et informer le public marocain sur des aspects jusque-là méconnus de notre Histoire contemporaine et soulager un tant soit peu les douleurs qu'ont ressenties et ressentent encore les victimes de cette époque, soient atteints. Le même espoir de faire éclater la vérité, et les vertus thérapeutiques de ces audiences publiques est également partagé par d'autres acteurs associatifs, mais pas les mêmes critiques. Pour le président du Forum Vérité et Justice, Mohamed Sebbar, la démarche entreprise par l'Instance Equité et Réconciliation (IER) ne répond pas tout à fait à l'objectif recherché d'établir la vérité. «Faire engager les témoins à ne pas divulguer les noms, les fonctions et le niveau de responsabilité de leurs tortionnaires revient à passer sous silence des éléments essentiels à toute initiative de rétablissement de la vérité», remarque-t-il. Qu'une telle décision soit prise sur recommandation du Conseil consultatif des droits de l'Homme (CCDH) peut, selon lui, être contrée par un autre type de recommandations, émanant de l'Instance elle-même. « Il ne s'agit pas d'accuser qui que ce soit. Seul le Parquet dispose de ce droit. D'autant que les personnes dont les noms seraient cités peuvent également avoir le droit de répondre. Même s'ils ne répondront jamais, le cas échéant», répond-il quand on l'interroge sur la longue et périlleuse suite qu'aurait un tel procédé. Le président du FVJ ajoute également que les témoignages auraient été plus poignants, la démarche plus efficace, si ces noms avaient été cités. Les différents médias qui relayent les audiences auraient très bien pu crypter, ou supprimer les passages où des noms sont divulgués. «Nous passons à côté de ce qui aurait pu être un grand moment de vérité. Mais nous n'en saluons pas moins cette bonne initiative», conclue-t-il. Une initiative dont l'approche et les finalités ne peuvent, par ailleurs, susciter que des encouragements. Loin d'être une fin en soi, il s'agit d'un début où le rôle que joue l'IER se limite, et comme le précise Driss Benzekri, l'homme qui est à sa tête, à lancer des dynamiques. «On sait que notre apport se limitera à mettre en place des outils de travail», avait-il déclaré sur les colonnes de notre confrère La Vie Eco. Des outils à même de contribuer à atteindre une réconciliation dont les ingrédients ne sont autres que des explications franches, «ce qu'on appelle la vérité» pour une justice restauratrice. La possibilité pour les victimes, pour les personnes qui se considèrent comme des victimes, d'avoir un moment pour s'exprimer, pour extérioriser leurs souffrances et d'être écoutées, c'est cela la véritable avancée selon lui. «Notre finalité ce n'est pas le passé, c'est le futur», dit-il, lui qui déclare qu'on n'a jamais autant critiqué, débattu, remis en cause - parfois de façon un peu simpliste, parfois excessive – qu'aujourd'hui. Et tout abus, de part et d'autre, aura un prix. C'est cela un Etat de droit.