Qualifiant les premières audiences publiques de réussite, Salah El Ouadie se dit convaincu de l'inutilité de citer les noms des responsables des violations des droits de l'Homme. Pour lui, les audiences sont le début d'une nouvelle étape pour le Maroc. ALM : Quel bilan faites-vous des audiences publiques qui ont eu lieu les 21 et 22 décembre dernier? Salah El Ouadie : Je commencerais par vous citer des cas vécus sur l'impact que ces audiences publiques ont eu sur la société marocaine. Un jeune couple, qui avait pour habitude de zapper quasi exclusivement sur des chaînes satellitaires étrangères a, l'espace des deux jours qu'ont duré les audiences, fait le choix de regarder les chaînes nationales. Sans avoir à le regretter. Autre exemple est celui d'un adolescent de 16 ans qui est venu vers moi et m'a dit que ce qu'il venait de voir valait les meilleures leçons d'Histoire qu'il ne lui jamais arrivé d'apprendre. Ces deux exemples témoignent non seulement de la prise de conscience qui s'est opérée grâce aux témoignages des victimes des années de plomb, mais ils ont également participé à unir les Marocains, de toutes les classes et de toutes les origines autour de cette question vitale qu'est le droits de l'Homme. Partant de cela et puisqu'il s'agit d'un processus irréversible, je suis persuadé que ces audiences ont été une réussite. Leur déroulement et les échos qui s'en sont suivis confortent l'Instance Equité et Réconciliation dans sa démarche visant la recherche de vérité avec pour objectif de tourner une page noire de notre Histoire contemporaine et de réconcilier le peuple marocain avec son passé. Nous demeurons fidèles à notre démarche, faite d'écoute active des victimes et de concertation avec nos partenaires, qu'ils soient associations de droits de l'Homme, ONG, partis politiques où l'Etat. Que répondez-vous à ceux qui émettent des réserves quant aux principes même d'organiser ces audiences, les jugeant inutiles ? Nous respectons cette opinion. Mais notre conviction, surtout après le succès de ces premières audiences publiques, est que la méthode que nous avons adoptée est la bonne. Qu'on ose nous regarder dans les yeux, qu'on jette un regard attentif sur notre passé pour mieux comprendre notre présence et mieux tracer les contours de notre avenir est une remarquable avancée à mon sens. D'autres critiquent la clause engageant les témoins à ne pas divulguer les noms de leurs tortionnaires. Qelle est votre opinion? Nous demeurons convaincus qu'il est inutile de citer les noms des responsables des atrocités commises. Notre démarche n'est pas judiciaire et nous ne sommes pas là pour punir ou condamner qui que ce soit. Ce qui est condamnable, ce sont les actes et les tortures qu'une partie du peuple marocain a subis. D'autant que citer des noms suppose une règle, qui n'est autre que la présomption d'innocence. Citer des noms aurait donc été suivi de notre devoir d'écouter ce que ces responsables ont à dire pour se défendre. On serait tombé dans cette logique d'accusations et contre-accusations à laquelle notre action ne souscrit pas. Notre démarche s'inscrit dans une optique de lecture de notre Histoire, étape préalable à toute construction de notre avenir. Pensez-vous que le Maroc, à travers une telle initiative, a clos définitivement le dossier d'atteintes aux droits de l'Homme ? J'ai le sentiment qu'avec la volonté de tous les acteurs et des forces vives du pays, avec les principes des droits de l'Homme et de la démocratie comme moteur, nous sommes sur un chemin de non retour vis-à-vis de ces années de plomb. Sans vouloir verser dans l'utopie, qui n'existe dans aucun autre pays ici-bas, je dirais que le Maroc dispose de suffisamment d'atouts et de volonté pour s'inscrire, une fois et pour toutes, dans la modernité et le respect des institutions et des Hommes. Une fois ces audiences terminées, quel serait le prochain pas à franchir ? Ce qui reste à faire après ces audiences publiques, c'est que le Maroc puisse tracer le cadre dans lequel les contradictions et les divergences entre ces différentes forces, institutionnelles comme populaires trouvent des mécanismes adéquats pour leur résolution pacifique. La différence est un plus pour nous. Et le Maroc a fait le choix de la diversité et de la pluralité. Un pas est donc franchis. D'autres ne peuvent que suivre.