L'ensemble des personnalités politiques et associatives interrogées espère que l'organisation des audiences publiques des victimes des années de plomb aidera le Maroc à tourner la page du passé. Mohamed Bouzoubaâ, ministre de la Justice : Phénomène salutaire L'organisation des audiences publiques est un phénomène salutaire. Elle permettra de mettre la lumière sur une période noire de l'histoire du Maroc en matière de droits de l'homme. La volonté de tourner la page du passé est forte. L'instauration d'une réelle réconciliation est érigée en priorité. Il faut surtout éviter que des exactions semblables à ceux commis par le passé ne se reproduisent plus. Le but est de construire un Maroc de droit où les libertés individuelles et collectives sont entièrement respectées. Mahjoubi Ahardane, Secrétaire général du Mouvement National Populaire (MNP) : Printemps de la réconciliation Je tiens à souligner que j'ai personnellement participé à la constitution de l'Instance Equité et réconciliation. A cet effet, j'espère que les audiences publiques conduiront le pays à une véritable réconciliation. Nous avons manifesté nos craintes sur d'éventuels dérapages. Car certains témoignages peuvent aisément provoquer d'autres réactions. Imaginez le fils d'une personne morte dans la tentative du coup d'Etat de Skhirat. Comment va-t-il réagir quand celui qui a tué son père prendra la parole? Notre peur s'arrête là. Ceci dit, nous espérons que cette initiative constituera le printemps de la réconciliation. Mustapha Ramid, député du PJD et membre du CDH : Cesser les violations J'espère que la conscience des bourreaux sera interpellée à l'écoute des témoignages des victimes des atteintes aux droits de l'homme commises par le passé. J'espère que ces bourreaux prennent la parole en public pour qu'il puisse s'excuser auprès de leurs victimes. Je souhaite également que les bourreaux d'hier exhortent les bourreaux d'aujourd'hui pour leur demander de cesser leurs pratiques antidémocratiques et les violations des droits humains. Abderrazak Afilal, Secrétaire général de l'UGTM et membre du CCDH : Il faut aller plus loin En tant que syndicat, nous avons participé aux préparatifs de ces audiences publiques. Certains de nos membres ont été victimes d'exactions. A mon avis, l'IER ne doit pas s'arrêter au simple dédommagement des victimes. Il faut aller plus loin et chercher les véritables responsables. Car dans l'absence de démocratie, certains partis politiques et même le Parlement ont une part de responsabilité. Quand on parle de réconciliation, on sous-entend les victimes seulement. Or, c'est tout le peuple marocain qui a besoin de se réconcilier avec son passé. La répression existe encore, l'égalité n'est pas totalement assurée. Enfin, nous avons besoin de courage pour reconnaître que certaines victimes ont commis des crimes. Saïd Ameskane, ancien ministre du Mouvement Populaire (MP) : Tourner la page Normalement, l'organisation des audiences publiques doit permettre de tourner, une fois pour toute, la page du passé. Même si ni moi, ni mon parti n'avons quoi que ce soit à nous reprocher, nous avons souligné les risques de dérapages que ces audiences publiques peuvent engendrer. Une victime risque parfaitement de citer les noms des personnes soupçonnées de violations. Légalement, les personnes citées ont le droit de répondre. En fait, j'estime que le passé est mort et enterré. Bon ou mauvais, la page doit être tournée. Abdelhamid Amine, Secrétaire général de l'Association marocaine des droits humains (AMDH) : Pas de censure Pour l'AMDH, ces audiences publiques constituent un moment fort du processus de traitement des violations des droits humains que le Maroc a connu. Cette initiative, notamment la diffusion télévisée des témoignages, permet ainsi de faire passer ce dossier épineux du domaine restreint des initiés et des élites à celui de tous les citoyens. Nous estimons, à l'AMDH, que le traitement des dossiers des violations des droits humains traîne actuellement au Maroc et nous espérons, par conséquent, que ces audiences donnent plus d'ampleur et de dynamique à ce dossier. Ceci dit, pour que les objectifs de cette opération soient atteints, nous insistons sur une condition primordiale: accorder une totale liberté de parole aux témoins. Aucune censure ne doit être acceptée, notamment l'interdiction aux témoins d'avancer l'identité de leurs bourreaux. D'où l'idée de permettre à ces derniers de témoigner également et de lever le voile sur les années de plomb. Thami El Khayari, Secrétaire général du FFD : Initiative louable L'organisation des audiences publiques est une initiative louable. Le Maroc apparaît sur ce volet comme le pionnier dans le monde arabo-musulman. Certes, il peut y avoir des problèmes lors du déroulement de l'opération, notamment sur le contenu des témoignages, mais fondamentalement l'initiative aura des retombées positives pour le pays et son image de marque. Encore faut-il que la page du passé et des exactions soit tournée définitivement. Toutefois, la vérité avec un grand "v" est un grand chantier ouvert pour les historiens. Il leur appartient de faire toute la lumière sur les responsabilités des uns et des autres.