«L'encensoir indiscret» est le titre du premier recueil de poésie d'Amina Benmansour. Cette universitaire rompt avec l'apprentissage qu'elle dispense pour adopter un ton résolument romantique. Un premier recueil de poésie constitue toujours un moment très important dans la vie de son auteur. L'épreuve du comité de lecture surmontée, il affronte des lecteurs inconnus. C'est le véritable destin du livre. Soit, il fait des adeptes par le biais du bouche-à-oreille. Soit, la sanction du silence en fait un mort-né. «L'encensoir indiscret» d'Amina Benmansour plaira sans doute aux amoureux de la poésie romantique, mais ne fera pas l'unanimité parmi les fans de la poésie contemporaine. Ceux qui lisent un poème pour être touchés par le cri de sincérité de son auteur, ne seront pas insensibles à celui d'Amina Benmansour. Son lyrisme exacerbé, sa fusion avec la nature, ses tourmentes exclusives, sa douleur inégalée…, en somme, tout ce qui a fait la réputation des poètes romantiques, existe dans le recueil de la poétesse marocaine. Même la source où elle puise son champ lexical rappelle celle où s'abreuvaient les poètes romantiques du 19e siècle. Des termes comme “entrailles”, “délires”, “Léthé”, “grappe” sont le pain favori de la poétesse. De même que le “ô” emphatique dont elle se sert pour multiplier les interpellations. Le miracle de cette poésie qui semble sortie d'un autre temps, c'est qu'elle communique de l'émotion aux lecteurs d'aujourd'hui. En atteste ce poème très justement intitulé « Hier et aujourd'hui », dévoué à la mère de l'intéressée. Celle-ci compare leurs vies respectives et en conclut au bonheur du mode de vie d'hier : « Avant de partir tu m'as tendu la coupe de la paix/ Mais entre mes doigts crispés/ Elle s'est brisée pour toujours/ Qui de nous ô mère a cueilli les fleurs du bonheur ». Pourtant, celle qui use de façon très nostalgique de la poésie romantique n'écrit pas de la sorte par ignorance de la poésie contemporaine. Elle ne le cache pas d'ailleurs : « Et j'ai usé ma raison sur le tesson du savoir ». Elle enseigne en effet la littérature française à l'université de Rabat. Peut-être même qu'elle donne des cours sur des poètes qu'elle évite de copier dans sa poésie. Elle connaît sûrement les écrits théoriques sur la poésie contemporaine et ses porte-flambeaux. Son choix de s'en écarter correspond peut-être à l'envie d'établir une frontière entre la poésie qu'elle enseigne et celle qu'elle écrit. « L'encensoir indiscret » présente également la particularité d'être un livre illustré. Les images n'ajoutent rien aux poèmes. Bien au contraire, elles leur portent préjudice. De même qu'on voit dans le théâtre des textes étouffés par la mise en scène, l'illustrateur a oublié qu'un livre est un objet qu'on feuillète et qui est fait pour être lu. Il l'a noyé sous des couleurs vives qui heurtent l'œil et distraient le lecteur, alors qu'elles devaient seulement sertir et mettre en valeur les poèmes. Heureusement que le cri de la poétesse s'élève plus haut que les couleurs fauves de l'illustrateur. Et ne serait-ce que pour découvrir un poète qui écrit d'une façon résolument romantique au 21e siècle, «L'encensoir indiscret » mérite d'être lu.