Près de 5.200 personnes soupçonnées d'avoir apporté un soutien aux islamistes armés, arrêtées par les forces de sécurité ont disparu sans laisser de trace. Ces disparitions seraient l'œuvre des forces algériennes de sécurité. L'avocat Farouk Ksentini a été nommé par le président Abdelaziz Bouteflika pour enquêter sur les disparitions ayant eu lieu pendant la guerre civile des années 1990. Ksentini qui est président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'Homme (CNCPPDH) et de la Commission ad hoc chargée de la question des disparus a déclaré que « si des membres des forces algériennes de sécurité sont peut-être responsables "à titre individuel" de la mort de 5.200 civils portés disparus pendant la guerre civile lors des années 90, l'Etat n'a commis aucun crime ». Et d'ajouter dans un entretien accordé à Reuters : « Je pense que c'est le cas, dans le cadre des dépassements, parce que, individuellement, des agents de l'Etat ont agi illégalement ». L'enquête en question concernerait tous les crimes et délits relatifs à la flambée de terrorisme dont l'Algérie était victime durant les années 90. C'était une guerre née suite au coup d'Etat militaire au début des années 90 visant à contrecarrer la victoire électorale du Front islamique du salut (FIS). Elle a opposé, d'une part, des insurgés islamistes - pratiquant la guérilla, le terrorisme et se livrant parfois à d'odieux massacres d'innocents - et, d'autre part, les forces de sécurité, renforcées par des milices qui se sont également rendues coupables d'exécutions sommaires, d'arrestations arbitraires et de mauvais traitements. Mais avant le 16 décembre 2004, Me Ksentini n'avait jamais attribué ces disparitions à des membres des forces de sécurité. La possible implication de militaires dans des exécutions extrajudiciaires a longtemps été un sujet tabou en Algérie. Farouk Ksentini, dont les déclarations constituent une première, précise avoir établi à ce jour une liste de 5.200 personnes soupçonnées d'avoir apporté un soutien aux islamistes armés, arrêtées par les forces de sécurité et jamais revues par la suite. Les forces de sécurité reconnaissent avoir interrogé ces suspects, mais affirment les avoir remis en liberté. Cité par le Quotidien d'Oran du 12 décembre, il a déclaré que « Avant 92, certains pays issus de l'Union européenne étaient favorables à un dialogue avec les terroristes, au moment où 20.000 éléments des groupes armés semaient la terreur dans le pays. Mais le 11 septembre 2001 est venu pour rétablir les choses ». Toutefois, écrit le journal, Me Ksentini estime que, depuis 1999, il y a une volonté politique de sauvegarde et de préservation des droits de l'Homme. Il en veut pour preuve la création en 2001 de la commission consultative qu'il préside, la création en 2003 d'une commission ad hoc chargée de la problématique des disparus, dont la responsabilité civile de l'Etat « est clairement établie ». Me Ksentini dit que la position de sa commission est claire : « les personnes responsables de ces meurtres doivent être jugées ». Sur ce point, il rejoint les demandes de l'Union européenne et d'organisations comme Amnesty International. L'enquête sur les disparus s'inscrit dans la politique de « réconciliation nationale » de Bouteflika. Une première amnistie, dans le cadre de cette politique voulue par Bouteflika, accordée entre 1999 et 2001 a vu la reddition de plusieurs milliers d'islamistes armés. C'est certainement pour ces raisons que le chef de l'Etat algérien a récemment laissé entendre qu'une seconde amnistie pourrait être à l'ordre du jour. « L'amnistie générale est nécessaire. Je l'attends pour l'année prochaine et j'estime qu'elle sera soutenue par la population », indique pour sa part Farouk Ksentini, qui doit remettre en mars son rapport au président algérien. Selon lui, cette amnistie bénéficierait au même titre aux islamistes ainsi qu'aux agents de l'Etat qui ont commis « des actes illicites à l'origine des disparitions ». Pour Me Ksentini, les Algériens veulent renoncer aux règlements de comptes et aspirent à une société civile, pacifique avec un avenir. Il n'en demeure pas moins que le même Me Ksentini s'est opposé à la levée de l'état d'urgence, indiquant que c'est le seul arsenal juridique qui permet de lutter contre le terrorisme.