Entretien avec Armelle Le Comte, chargée de plaidoyer climat et énergies fossiles pour Oxfam France ALM: Oxfam vient de publier un rapport sur la finance climatique. Dans quel cadre s'inscrit votre étude ? Armelle Le Comte : Oxfam travaille sur le changement climatique depuis une dizaine d'années. Nous nous sommes intéressés à cette question compte tenu de l'ampleur de l'impact du changement climatique sur l'agriculture notamment en Afrique, Asie et Amérique latine. Le but étant d'aider les populations les plus vulnérables à faire face aux changements climatiques en l'occurrence la sécheresse, les inondations, l'élévation du niveau de la mer. De par nos évaluations, nous avons constaté qu'il y a un besoin pressant de financement. En 2009, les Etats riches se sont engagés à Copenhague de mobiliser 100 milliards de dollars par an à l'horizon 2020. Cette promesse a été reconduite jusqu'en 2025 dans le cadre de l'Accord de Paris. La question qui se pose depuis Copenhague est où en sont ces 100 milliards de dollars et comment les Etats comptent tout cela. Quel constat faites-vous de ce rapport ? En analysant minutieusement les rapports des Etats sur le financement climatique, nous observons que ces pays ont tendance à surestimer le financement qu'ils apportent aux pays vulnérables. Et ce pour deux raisons. Dans leur évaluation, les Etats riches comptent les prêts à la valeur nominale ou autrement dit ils comptent l'ensemble de l'argent qu'ils prêtent aux pays pauvres, or ces prêts vont être en fin de compte rembourser. De même, ils comptabilisent le projet dans sa globalité alors que la composante climat ne revêt qu'une petite partie du projet. Et pour vous donner un exemple plus concret, la France fait environ 3 milliards de dollars de prêt sur le climat, dont 96% sont sous forme de prêt que le pays récupérera plus tard. Du coup l'effort financier est bien moins important de ce que l'Etat français veut bien croire. Concrètement combien a été mobilisé jusque là dans le cadre des engagements des 100 milliards de dollars? Aux dernières données, les Etats riches ont déclaré avoir mobilisé 41 milliards de dollars d'argent public sur la période 2013-2014. Mais quand nous comptabilisons que les dons et la partie des projets dédiée au climat, nous nous apercevons que seulement 20 milliards de dollars ont été vraiment engagés pour le climat, soit pratiquement la moitié du financement déclaré. C'est pour cette raison qu'Oxfam appelle à la definition de règles de comptabilité plus précises qui s'appliquent à tous les Etats afin de garantir plus de transparence à la fois aux pays riches qu'aux pays bénéficiaires. Où se situe l'adaptation dans ce financement ? L'adaptation doit être placée au cœur de ces engagements, voire beaucoup plus que l'atténuation. D'ici 2020, seulement 20% des financements iront à l'adaptation alors que l'Accord de Paris prône un équilibre entre adaptation et atténuation . Ainsi d'ici 2020 nous serons loin de l'objectif fixé. A notre niveau, nous recommandons qu'au sein des 100 milliards de dollars, au moins 35 milliards de dollars devraient être dédiés à l'adaptation notamment dans le secteur agricole. C'est important qu'il y ait cette partie de l'argent dédiée pour l'agriculture et notamment pour les agriculteurs familiaux qui représentent l'énorme majorité des travailleurs dans l'Afrique subsaharienne. Ce qui serait intéressant également c'est de reconnaître le rôle des femmes dans ce processus, car elles sont les plus impactées par les changements climatiques. En marge de la COP22, Oxfam mène une action par rapport au phénomène «El Nino». Quel message souhaitez-vous véhiculer à travers cette mobilisation? «El Nino» est un épisode particulièrement fort cette année. Il a un impact sur une grande partie de l'Afrique notamment l'Afrique de l'Est et le Sud du continent. Nous avons lancé dans ce sens des pétitions pour interpeller les leaders et chefs d'Etat sur ce phénomène. Il faut qu'El Nino soit placé au cœur des négociations afin de débloquer sans attendre les fonds nécessaires pour sauver des vies. Ce phénomène naturel se produit chaque 4-5 ans. Il est chaque année nourrit par les changements climatiques. En Afrique, El Nino crée de la sécheresse désastreuse. Cette sécheresse se prolonge depuis 18 mois en Ethiopie où elle engendre des conséquences dramatiques. El Nino est tellement fort cette année qu'Oxfam estime qu'il y aura 40 millions de personnes supplémentaires menacées de famine rien qu'au Sud de l'Afrique. Nous misons grand sur cette COP pour rapporter les réponses concrètes aux grands principes définis dans l'Accord de Paris.