La découverte exceptionnelle de peintures rupestres à Azguerve, région de Tan-Tan, suscite encore des réactions dans le milieu des archéologues. L'un d'eux s'explique sur les raisons de la maintenir en secret. Les déclarations d'une autre personne permettent de comprendre que sa divulgation confronte les intérêts de deux ministères. La découverte des peintures rupestres de Azguerve continue de passionner les archéologues. Et si l'on est fondé de se réjouir de cette découverte, on sera très surpris d'apprendre que sa divulgation est jugée à la fois dangereuse et inopportune par certains archéologues. Au nom de la protection du site, le directeur du Centre national du patrimoine rupestre, Mohssine El Graoui, souhaite apporter des éclaircissements. Il précise d'emblée que «toute recherche sur le patrimoine archéologique et préhistorique doit avoir l'autorisation de l'Institut national des sciences de l'archéologie et du patrimoine (INSAP)». Il considère dans ce sens que Robert Letan, qui a informé notre journal de cette découverte, n'est pas habilité à divulguer quoi que ce soit, puisqu'il n'a pas reçu l'aval de l'INSAP. Il se défend ensuite contre les accusations que font planer certains sur le fait que l'INSAP n'a pas diffusé l'information, parce que la découverte a été faite par une femme nomade nommée Fatimatou Malika Bent Benatta, et non pas par un archéologue émérite. «Nous ne cherchons absolument pas à nous accaparer cette découverte. On peut même donner au site le nom de la personne qui l'a trouvé», s'écrie Mohssine El Graoui. C'est la protection de ces peintures qui le préoccupe, et il estime qu'elles ne sont plus à l'abri des dégradations anthropiques et de la convoitise des pilleurs. À vrai dire, le centre national du patrimoine rupestre dispose de moyens très limités pour les protéger. Il est étonnant dans ce sens de noter qu'il ne possède même pas une voiture 4 x 4 pour se rendre jusqu'au lieu de la découverte, situé dans la région de Tan-Tan. Mais bien plus grave : 350 sites présentant un intérêt archéologique et préhistorique ont été répertoriés au Maroc. «Comment les protéger ?», s'interroge El Graoui. En mettant un gardien dans chaque site ? «Ce n'est pas possible ! parce que d'une part, on n'en a pas les moyens ; et d'autre part, il est impossible à un seul gardien de veiller sur des sites qui s'étendent parfois sur 5 km». Le petit budget que le ministère de la Culture et de la Communication alloue à ce centre joue donc beaucoup dans les réserves émises par l'archéologue. Il y a aussi une crainte légitime émise par tous les archéologues de voir des sites conservés depuis des siècles subir des dégradations par les visites répétées des hommes. El Graoui estime que le site est resté intact depuis des milliers d'années. «Allez savoir les dégradations qu'il va subir maintenant qu'il est dévoilé !» Cette exigence de secret qu'il réclame, et que l'on ne comprend pas aisément, n'est pas propre aux archéologues marocains. En France par exemple, les découvertes sont jalousement gardées. La grotte de Lascaux, la vraie, a été interdite aux visiteurs par souci de conserver les peintures. On en a réalisé une copie pour permettre aux gens de se faire une idée des peintures qu'elle recèle. Et toute découverte préhistorique fait l'objet d'une protection maximale. Ce souci de conservation fait dire à El Graoui : « on ne peut pas lever le secret sur ce site sans prendre des dispositions préalables, d'autant plus que les gens ne saisissent pas l'intérêt de ce patrimoine. On ne peut pas leur montrer tout !» Ce préhistorien, archéologue et géologue est vraisemblablement passionné par son métier. Il est si passionné qu'il ne dit pas un mot sur les dispositions à prendre pour la protection du site de Azguerve. Il s'en prend dans sa passion à un journaliste de terrain qui a donné, dans un guide, le point GPS (global posioning system) du site. N'importe qui peut désormais s'y rendre. Jacques Gandini est le journaliste en question. Il se trouve actuellement au Maroc, et sans souhaiter «entrer dans une quelconque polémique», comme il le précise, il est normal qu'il réagisse quand on le prend ouvertement à parti. Ce journaliste a «l'aval du ministère du tourisme » pour dire tout le bien qu'il pense des sites du Maroc et mettre en appétit le plus grand nombre de visiteurs. Il a également le soutien des gouverneurs des régions qu'il parcourt. La promotion de la région prévaut sur des considérations archéologiques. La force de mes guides, c'est que je précise partout les relevés kilométriques et les points GPS, dit-il. «Un jour, c'est moi qui les révèle, demain ce sera un autre. Je ne comprends pas que l'on puisse me tenir rigueur de cela. C'est aux archéologues de les protéger !» Le problème n'est donc pas seulement archéologique, mais confronte les intérêts d'un ministère soucieux d'attirer des touristes et un autre qui a charge de veiller sur le patrimoine. Quant à savoir si l'on a le droit de maintenir au secret une découverte aussi exceptionnelle que celle des peintures rupestres d'Azguerve, c'est au lecteur d'en juger.