Mis à part une petite liste de bons élèves, la majorité des EEP reçoit énormément d'argent public sans être capable de générer des dividendes et des bénéfices pour les caisses de l'Etat. Surendettement, faible valeur ajoutée et dépendance à l'Etat, les entreprises et établissements publics (EEP) ont été, à quelques exceptions près, cloués au pilori par la Cour des comptes. Cette dernière vient de publier un rapport sur les EEP. Les magistrats de la Cour des comptes ont ainsi analysé le fonctionnement de ces entités dont le nombre reste très important. Entre les établissements publics, les entreprises publiques à participation directe du Trésor et les filiales, leur nombre est estimé aujourd'hui à pas moins de 698 structures. Mis à part une petite liste de bons élèves, la majorité des EEP reçoit énormément d'argent public sans être capable de générer des dividendes et des bénéfices pour les caisses de l'Etat. «Durant la période 2010-2014, la comparaison des transferts réciproques entre l'Etat et les EEP fait ressortir une balance structurellement défavorable à l'Etat d'une moyenne annuelle de 21,2 MMDH», explique la Cour des comptes. «Concernant les transferts des EEP vers le Trésor, ils proviennent d'un nombre réduit d'organismes. Les dividendes et parts de bénéfices remontés proviennent pour l'essentiel du Groupe OCP, Groupe CDG et IAM. Les transferts opérés par les organismes non marchands sont versés, pour la quasi-totalité, par l'ANCFCC dont les produits collectés revêtent un caractère parafiscal», ajoute la même source. Il est vrai qu'une bonne partie des EEP est aujourd'hui en pleine phase d'investissement massif alors que certains EEP ne peuvent pas générer des bénéfices du fait de leur caractère non marchand, les dividendes reversés par ces entités restent globalement à améliorer. Endettement galopant Mais un autre point inquiète particulièrement la Cour des comptes. Il s'agit bien évidemment de l'endettement des EEP. A fin 2015, l'encours des dettes de financement des EEP a atteint 245,8 milliards DH, soit environ 25% du PIB. «Par rapport à 2004, l'endettement du secteur a enregistré une augmentation de 321,1%. Ce qui pourrait constituer une source de fragilité pour le secteur», avance la Cour des comptes. Toutefois, le ministère de l'économie et des finances explique dans sa réponse à la Cour que le niveau de l'endettement reste maîtrisé et ne présente aujourd'hui pas de source d'inquiétude. Soit. Mais il y a un hic. A l'exception d'OCP, l'Etat se porte garant pour la quasi-totalité des prêts contractés par les EEP. Le risque provient surtout des dettes contractées en devises. «L'augmentation continue de la part de la dette en devises, depuis 2011, est porteuse de risques pour les finances publiques, car toute défaillance des organismes débiteurs dans le règlement de leurs dettes garanties entraînera leur prise en charge par le budget général de l'Etat», expliquent les magistrats de la Cour des comptes qui précisent que l'endettement a permis tout de même la réalisation de nombreux projets structurants portés par les EEP. Mais une question se pose avec acuité. Le Maroc a-t-il besoin d'autant d'entreprises publiques et de filiales ? La réponse est bien évidemment non selon la Cour des comptes qui appelle à revoir le processus de création. Beaucoup de doublons Selon les magistrats de la Cour des comptes, «la création d'EEP ne fait pas l'objet au préalable d'une réflexion approfondie et d'études de faisabilité quant à son impact sur la structure organisationnelle de l'Etat et du secteur public dans son ensemble». Et de poursuivre : «Cette situation est à l'origine de beaucoup de doublons et de chevauchements de compétences entre l'Etat et les EEP, avec comme conséquence une mauvaise allocation des ressources publiques. Parfois, des missions identiques sont accomplies à la fois par des ministères et des EEP. De même, des EEP opèrent dans le même secteur d'activité, voire sur le même territoire». Pour la création de filiales, les magistrats pointent du doigt l'absence d'un examen approfondi alors que la création de certaines filiales s'est révélée a posteriori impertinente et non fondée. Pire encore, «dans certains cas, la création de filiales est opérée, pour échapper aux procédures imposées par le statut d'établissement public ou pour se soustraire au contrôle du conseil d'administration et au contrôle financier préalable jugé paralysant par les gestionnaires et des fois, pour bénéficier d'un régime de rémunération du personnel plus attractif». Certes, l'adoption d'un code de bonnes pratiques a permis quelques améliorations, mais il semble que beaucoup reste à faire. TVA ou comment l'Etat met en péril les EEP A fin 2015, le montant total du crédit de TVA des EEP dépasse les 25.181 MDH, ce qui représente 47,8% des recettes de TVA revenant au budget général de l'Etat pendant cet exercice. La mise en garde de la Cour des comptes est double «puisqu'en plus du risque d'enrayer le modèle de l'EEP investisseur, cette situation plombe la performance des EEP concernés en raison des difficultés de trésorerie et des charges financières supplémentaires qu'elle engendre». Malgré ces mesures en faveur des EEP dans les lois de Finances 2014 et 2015, la majorité des ces établissements n'est pas éligible à ces dispositifs. «En effet, la loi de Finances de 2014 a prévu le remboursement du crédit cumulé jusqu'au 31 décembre 2013. Mais cette mesure ne s'applique qu'aux contribuables dont le montant du crédit ne dépasse pas 500 MDH. Or, la plupart des entreprises publiques ne sont pas éligibles au bénéfice de cette mesure, en raison d'un crédit de TVA bien supérieur à ce seuil», précise la Cour des comptes. Liquidation La Cour des comptes semble clairement appeler les responsables à procéder à la liquidation ou la dissolution de certains EEP. En effet, la Cour a demandé au gouvernement dans ses recommandations à adopter une nouvelle stratégie concernant les EEP. Par rapport à cette stratégie, les EEP seraient classés, selon une approche dynamique, en trois catégories. La première concerne les EEP devant être conservés sous le contrôle de l'Etat alors que la deuxième intègre les EEP pouvant être mieux développés en partenariat avec le secteur privé. Enfin, la troisième catégorie rassemblera les EEP non viables devant être dissouts ou liquidés. «Pour éviter la dispersion des efforts sur une multitude d'entités disparates, il faudrait procéder à une analyse du schéma organisationnel afin de concentrer l'action de l'Etat sur un nombre optimal de groupes publics. Pour le redimensionnement du portefeuille public, des études doivent être menées pour identifier les modalités d'optimisation à adopter : fusion, regroupement, retrait, cession, liquidation....», recommande la Cour des comptes.