On a très peu parlé de cinéma pendant la conférence de presse organisée par les membres du jury des longs-métrages, mercredi 18 septembre à Marrakech. La situation politique a pris le dessus sur les considérations esthétiques. Le Festival international du film de Marrakech est bien plus qu'une manifestation culturelle, c'est un symbole. «J'ai un peu honte d'être Américaine ». Cette phrase de Anna Thomson, la grande actrice et membre du jury des longs-métrages, souligne le malaise qui s'est emparé d'une conférence de presse, censée porter sur le cinéma. Le Festival international du film de Marrakech n'échappe pas à la situation politique. Il a été frappé de plein fouet par les attentats du 11 septembre l'année dernière, cette année encore, il doit corriger l'image défavorable au monde arabo-musulman en Occident. « Les Américains sont victimes de terribles préjugés à l'égard du monde arabe. Il est très important que les chaînes américaines de télévision et une certaine presse arrêtent leur propagande injustifiée à l'encontre du monde arabe. J'ai envie de leur dire : venez ici, venez au Maroc pour voir de vos yeux comment les choses se passent. A ce moment précis où je vous parle, j'ai un peu honte d'être Américaine » a conclu Anna Thomson, la voix étouffée par l'émotion et l'indignation. Elle n'a pas été la seule à conférer à cette manifestation une portée politique. La présidente du jury, Jeanne Moreau, a précisé : « nous vivons dans une période très violente. Le cinéma nous permet de se retrouver ». Ces retrouvailles se réfèrent à une rupture de plus en plus consommée entre l'Occident et le monde arabo-musulman. Marrakech en acquiert un statut symbolique. « Ce festival est un symbole réunissant des gens de cultures différentes pour regarder des films » a souligné Nabil Ayouch, réalisateur marocain. L'écrivain marocain Abdellatif Laâbi s'est emporté pour sa part contre ceux qui marquent de la suspicion à l'égard des grandes ambitions que le festival de Marrakech affiche. « Les événements culturels d'envergure ne doivent pas impérativement se passer à New York, Berlin, Paris ou Londres. Ils peuvent aussi avoir lieu dans des pays comme le Maroc. Il faut arrêter avec cette idée : il y a une aire du monde avec un centre (l'Occident) et des périphéries. Ce festival est la preuve que les choses peuvent se réaliser ailleurs ». On aura rarement vu une manifestation culturelle désigner d'une manière frontale les conflits qui sous-tendent des manifestations culturelles. La culture est une chose éminemment politique. Marrakech est certes un lieu où se déroule un festival de cinéma, mais c'est également un signe très fort adressé à ceux qui s'activent tous les jours pour emprisonner le monde arabe dans une image unique et exclusive. Une image façonnée de toute pièce, et qui se rapporte plus à des peurs et des préjugés qu'à une volonté délibérée de couper le monde en deux blocs. La réalisatrice française Josée Dayan n'a pas non plus considéré le festival de Marrakech, indépendamment de la situation politique. « Je me sens enrichie des films que j'ai vus. Avec ce qui se passe dans le monde, il est formidable que l'on parle, ici à Marrakech, de culture ». Il n'y a guère que le comédien français Pascal Greggory qui a parlé de la manifestation d'un point de vue strictement cinématographique. « Marrakech est l'une des villes les plus photogéniques dans le monde » a-t-il dit. Ce ne sont pas de films internationaux qui la montrent face et profil qui le démentiront.