S'il est déjà difficile en général d'écrire sur les œuvres plastiques, cela a fortiori l'est encore plus, et d'une façon beaucoup plus grave, dans le cas particulier de Khalil El Ghrib. Non pas que ses œuvres soient récalcitrantes au discours, mais parce qu'elles ne cessent de renvoyer à la vie d'un homme. S'il est déjà difficile en général d'écrire sur les œuvres plastiques, cela a fortiori l'est encore plus, et d'une façon beaucoup plus grave, dans le cas particulier de Khalil El Ghrib. Non pas que ses œuvres soient récalcitrantes au discours, mais parce qu'elles ne cessent de renvoyer à la vie d'un homme. Et que cet homme a une démarche si singulière dans le monde de l'art qu'on ne peut parler de lui sans que l'émotion ne s'en mêle. Parler de El Ghrib comme il crée eût exigé une table rase, un nettoyage par le vide, à quoi n'aurait pas échappé l'intention de parler de ses créations… Pour ceux qui ne le connaissent pas, Khalil El Ghrib est l'un des artistes les plus importants dans le monde aujourd'hui. Pour preuve, les deux plus prestigieuses manifestations d'arts plastiques dans le monde, la Biennale de Venise et la Documenta de Kassel, l'ont invité à exposer ses œuvres. Mais il a refusé comme il refuse de vendre ses œuvres. Khalil El Ghrib nomme toujours ses œuvres « production » ou « travail ». Ce n'est pas de la fausse modestie : la vanité ou l'orgueil sont étrangers à son monde. Un monde où la vie et la mort s'affrontent pour un devenir qui ne se cesse de se défaire pour une nouvelle naissance. Cet artiste travaillé par l'usure du temps, éprouve une fascination insoutenable pour tout ce qui menace de se décomposer. Il empêche la matière de disparaître complètement en l'introduisant dans un environnement qui favorise sa purulence et la régénérescence de nouvelles formes de vie. L'intervention de l'artiste a trait surtout au choix des matières. Pour le reste, elle est réduite au minimum : l'adjonction de ficelles en laine et de cartons recouverts de chaux, par exemple. En dépit de cette intervention réduite, les œuvres de Khalil sont reconnaissables. Elles ne ressemblent à nulles autres. Il a beau ne pas les signer, elles crient l'identité d'un artiste dont la conduite dans la vie ne peut être distinguée de ses créations. L'art comme un savoir-vivre ou une éthique, c'est aussi la leçon de Khalil El Ghrib. Cet artiste est né en 1948 à Asilah. Il vit de son métier d'enseignant qu'il exerce à Tanger. La renommée de son travail doit beaucoup aux textes de son ami le grand écrivain Edmond Amran El Maleh. Il a écrit un livre d'un intérêt considérable pour comprendre l'œuvre et la vie de Khalil El Ghrib : « L'œil et la main ». Dans sa conversation, Khlalil Gharib n'élève jamais le ton. Ses propos sont construits, substantiels, savants des choses de la vie. Il tient un discours cohérent sur son art même s'il lui dénie cette qualité. Mais, s'il est un art qui compte, c'est celui qui – sans que l'artiste l'ait cherché – est par son existence même une œuvre d'art, et une œuvre d'art assez vigoureuse pour clore le bec à n'importe quel discours.