Un grand hommage a été rendu à l'actrice égyptienne Yousra au Festival international du film de Marrakech. Actrice connue pour son franc-parler et les polémiques qu'elle déchaîne régulièrement dans son pays, Yousra s'exprime sur sa relation avec le réalisateur Youssef Chahine et son opposition aux films où les actrices portent le voile. ALM : Cela fait longtemps que vous n'avez plus tourné avec Youssef Chahine. Quelles sont les raisons de cette coupure ? Yousra : Ce n'est absolument pas une coupure ! D'ailleurs, Youssef Chahine m'a confié un rôle dans son dernier film « La colère ». Il est vrai que cela fait longtemps que je n'ai pas tourné avec Youssef, mais cela ne signifie pas que nous étions fâchés. Je ne peux pas d'ailleurs m'éloigner de Youssef Chahine. Ma relation avec lui est essentielle dans ma vie. Il est l'épine dorsale de mon parcours. Je suis un peu sa créature. Il est mon maître. Où que je cherche des films importants dans ma carrière, je trouve Youssef Chahine. Je ne peux en aucun cas lui tenir rigueur de porter son choix sur une autre actrice. Je suis heureuse quand il donne des rôles à une autre personne, parce que j'ai la prétention, l'espoir aussi, qu'il se rend compte ainsi de ma valeur. Parce que moi, je saisis sa valeur chaque fois je tourne sans lui. Vous interprétez quel personnage dans «La colère» ? Je joue le rôle d'une femme âgée de 70 ans. Les séances de maquillage prennent à chaque fois trois heures de préparation. Youssef Chahine m'a proposé un rôle inédit dans ma carrière, parce qu'il sait que j'aime le challenge. Et je suis d'autant fière de ce rôle que « La colère » revêt une importance considérable aux yeux de son réalisateur. C'est un film autobiographique qui montre la relation de Youssef Chahine avec les Etats-Unis, depuis qu'il était étudiant jusqu'à ce jour. Vous tenez un premier rôle dans ce film ? Le rôle que je joue n'est peut-être pas très important, mais il me permet d'élargir le champ de mes interprétations. D'ailleurs, j'ai encore appris avec Youssef Chahine dans ce film. Au début, j'accentuais le caractère âgé de mon personnage. Je marchais avec difficulté, courbait volontairement l'échine. Et Youssef est venu me dire qu'il est plus âgé que mon personnage. “Est-ce que je ne me tiens pas droit ? Est-ce que je peine à articuler ? Allons, tu ne sais pas encore de combien d'actions est encore capable un homme de mon âge”, m'a-t-il dit. Quelle leçon de cinéma ! Tout dans la sobriété, l'économie, la vérité. Rien d'excessif ou d'exagéré. Tout le cinéma de Youssef Chahine tient dans cette remarque. Les films dans lesquels vous avez joué avec Youssef Chahine rompent avec la tendance actuelle du cinéma égyptien où les actrices se dénudent moins qu'avant… Je ne suis pas d'accord. Moi je fais tout ! (Rires). À l'exception du nu intégral, j'obéis aux directives du metteur en scène. S'il me demande de danser en petit costume, je le fais. C'est tout à fait normal ! Parce que c'est mon travail, et je dois le respecter. Le cinéma est aussi le miroir de la vie. On déforme la réalité, en mettant des voiles là où il n'y en pas. On rend aussi peu vraisemblable l'art cinématographique. Et du coup, c'est la magie du 7ème art que l'on assassine. Que pensez-vous de ceux qui parlent en Egypte d'un «cinéma propre» ? L'expression ne veut absolument rien dire. Qu'est-ce qu'un cinéma propre ? Un cinéma aseptisé, purifié, détergé ! Est-ce que la vie est ainsi faite ? Non ! C'est avec des propos de ce genre que l'on déshumanise l'art de faire des films. La vie n'est pas un tapis immaculé. Le cinéma ne saurait l'être non plus. Nos sentiments sont complexes. Ils passent du blanc au noir. Comment voulez-vous les uniformiser par une seule couleur? La vie ne nous permet pas, hélas, d'aborder aujourd'hui un quelconque sujet en espérant faire jouer des anges. Avec tout ce que vous dites, on remarque une tendance de plus en plus marquée dans le cinéma égyptien vers le voile et la pudeur. Oui, mais cela ne signifie pas que ces films prédominent dans les salles. Les deux tendances coexistent. Si le sujet d'un film nécessite la présence d'une femme voilée, je ne vois pas pourquoi il faudrait le condamner. Cela nous renvoie justement au cinéma qui est un miroir de la vie. Les femmes voilées existent ! Moi j'ai joué le rôle d'une voilée dans «Assrar Al Banat», parce que ce voile était en adéquation avec mon personnage. Oui, mais il y a ceux qui veulent limiter les sujets du cinéma au nom de la religion. Que pouvez-vous leur répondre ? Je n'aime pas parler de religion. Je suis une musulmane qui croit profondément à la liberté de culte. Je respecte le christianisme ! Je respecte le judaïsme ! En les respectant, je pratique justement ma religion musulmane qui les reconnaît et m'engage à les respecter. Quant aux extrémistes, et pour clore le sujet, ils ne sont pas représentatifs de l'art en Egypte. Le cinéma ne peut pas s'ajouter à un habit préfabriqué. Ce sont les personnages qui façonnent les costumes, et non pas l'inverse.