Youssef Chahine fait partie de ces réalisateurs qui ont fait du cinéma une véritable cause humaine. Présent à Marrakech pour la 4ème édition du FIFM, Youssef Chahine s'exprime sur ses 50 ans d'engagement au service du 7ème art. Entretien. ALM : Youssef Chahine, le festival de Marrakech vous a rendu l' hommage du cœur après vous avoir consacré pour la première fois, lors de la 1ère édition en 2001. Quel est votre sentiment ? Youssef Chahine : Lors de la toute première édition du Festival international du film de Marrakech, SM le Roi Mohammed VI m'avait décerné le Wissam Alaouite de l'ordre de chevalier. J'en étais honoré. Ajourd'hui encore à l'édition 2004 du festival, on me rend hommage et j'ai vécu cela de manière très tranquille. Le déroulement de cet hommage était au niveau de l'organisation très spontanné. J'ai ressenti la chaleur des spectateurs dans la salle du Palais des Congrès. Ce genre d'hommage venu d'un pays que j'apprécie beaucoup me rend très ravi. Vous êtes connu pour être un réalisateur engagé. Durant 50 ans de carrière quel est aujourd'hui le moteur de cet engagement ? Possédez-vous toujours les mêmes idéaux ? Je lutte toujours pour les mêmes valeurs qu'il y a maintenant 50 ans. Ces valeurs ne sont autres que la paix, la liberté et la justice. Même à présent à 73 ans, à chaque fois, qu'il y a des manifestations dans la rue, je descends moi aussi. J'essaie d'être présent à toutes les manifestations, car je pense que ma carrière est indissociable avec la vie de militant. Je suis toujours accompagné d'un groupe de copains pour être plus protégé quand les forces de l'ordre jettent des bombes lacrymogènes pour disperser la foule. J'ai toujours été actif dans le domaine social et associatif. Il faut dire également que j'ai toujours été contestataire et contesté aussi. J'ai horreur de l'affairisme et je suis pour un monde plus juste –même si c'est trop demander-. Pour parler de votre travail cinématographique, quel est le courant dont vous vous êtes le plus inspiré ou qui vous a le plus influencé ? Dans ma carrière de cinéma, j'ai été influencé par tous les grands réalisateurs de mon siècle. Comme dans n'importe quel domaine, avant d'offrir son propre produit, il faut s'intéresser aux œuvres de ses prédécesseurs. C'est la même chose pour le cinéma. Ainsi, tous les plus grands réalisateurs m'ont inspiré. Mais je peux dire que j'ai été influencé par les réalisateurs italiens comme Fellini ou encore Visconti. Pouvons-nous dire que vous êtes néoréaliste ? Vous savez, je n'aime pas toutes les appellations, et je préfère ne pas être affilié à un courant ou un autre. Je pense tout simplement que j'ai été influencé par tous les bons films. J'aime tous les films de bonne facture et pas les mauvais. Personnellement j'aime l'érotisme mais pas la vulgarité. Et pour qu'un film soit bon, il faudrait qu'il puisse toucher toutes mes émotions. Il faudrait aussi que je sente le film du plus profond de mon cœur. Un bon film doit vous faire soit rire soit pleurer, s'il y a ni l'un ni l'autre de ces sentiments c'est que le film en question est un ratage. Vous avez évoqué tout à l'heure le nom de Fellini. Comment percevez-vous la comparaison qui est faite entre vous et ce grand géant du cinéma italien auteur, entre autres de la Dolce Vita ? C'est dôle, car à chaque fois que je me rends en Italie pour mon travail ou encore pour des vacances on me dit « vous êtes le Fellini de l'Egypte. Cette comparaison me flatte car nous avons moi et Fellini la même éducation cinématographique. Nous avons la faculté d'aller jusqu'au bout dans la folie. Mais je réponds toujours pourquoi Fellini n'est pas le Youssef Chahine de l'Italie. Les cinéphiles auront remarqué que Yousra et Nour Chérif ont joué dans plusieurs de vos films mais quels sont aujourd'hui les acteurs avec lesquels vous aimez le plus travailler ? 90% des acteurs d'Egypte ont déjà tourné dans mes films. Mais j'aime bien intégrer à chaque nouveau film 2 à 3 jeunes acteurs qui viennent de pénétrer l'univers du 7 ème art. Cela provient du fait que j'adore enseigner le cinéma aux jeunes. Il y a un proverbe en arabe qui dit : «si vous enseignez vous mourrez pas». Vous avez souffert dans votre vie à cause de vos positions politiques qui font partie de votre engagement. Que tirez-vous aujourd'hui comme enseignement de cette souffrance ? Je dirais tout simplement qu'il faut dépasser la souffrance, mais en même temps, il ne faut pas l'éviter totalement, car elle vous rend plus sensible et vous donne la capacité de tout remettre en question. Aussi, cela permet de forger sa propre personnalité. Aujourd'hui, j'ai dépassé cette souffrance et je suis devenu un peu plus fort qu'avant et encore plus déterminé que jamais.