Étrange affaire judiciaire que celle dont a fait les frais Abdelali Berrada Sounni, président du Palmeraie Golf Palace à Marrakech. Alors qu'il a failli être victime d'un personnage se présentant comme un prince saoudien dans un projet touristique, la Cour d'appel de Marrakech l'a condamné. Récit d'une histoire rocambolesque. L'homme n'en revient pas. Il y a de quoi. L'affaire, à tout point de vue étrange, dont il est victime, Abdelali Berrada Sounni, le président du prestigieux Palmeraie Golf Palace à Marrakech, en parle, la voix vibrante d'émotion, avec un mélange de révolte et d'incompréhension. Tout au long de son parcours d'homme d'affaires averti, cet originaire de Fès de 57 ans en a vu d'autres mais jamais de pareil. Tout a commencé lorsqu'un personnage du nom de Waleed Ben Abdul Mohcine Ben Abdul Aziz Al Saud, se présentant comme un prince saoudien, a formulé le souhait de faire des affaires avec Abdelali Berrada. Les deux hommes se rencontrent courant 1999 grâce à la médiation de l'agent commercial du prétendu prince, un ressortissant tunisien dénommé Mohamed Ayachi Ajroudi. Walid Ben Abdul Mohcine voulait s'associer avec le promoteur marocain dans une partie de son projet des “Jardins de la palmeraie“, agréé par une autorisation de construire remontant à janvier 1986 pour y ériger un complexe touristique et résidentiel. Deux terrains sont concernés par ce partenariat naissant, l'un s'étendant sur une superficie de plus de 31 hectares et l'autre sur 8 hectares environ. M. Berrada fera le nécessaire en fournissant à son futur associé documents, titres fonciers, plans et autorisations relatifs à ce projet. Et en gentlemen qui a le sens des bonnes manières, il prendra également en charge les frais de séjour et de déplacement du prince, de son collaborateur et même de leur avocat français chargé du dossier d'investissement. Multiplication des rencontres et des consultations à Marrakech et à Cannes où est établi le Saoudien. Celui-ci avait, à ces diverses occasions, assuré à son interlocuteur que le projet de la Palmeraie allait donner le coup d'envoi à une série d'investissements communs aussi bien au Maroc qu'en Arabie Saoudite. Cette déclaration d'intention sera matérialisée par un accord de partenariat signé par les deux parties le 10 juillet 1999. Un accord de deux feuillets à peine qui fait état d'un “partenariat d'affaires et d'investissements dans les domaines industriel, commercial, immobilier, touristique et hôtelier“ au Maroc et en Arabie Saoudite. Sans plus. Avant même que cette vague promesse de collaboration ne connaisse un quelconque début de concrétisation, l'agent tunisien Ajroudi formule à Abdelali Berrada une revendication pour le moins étonnante: il a exigé que son interlocuteur lui fournisse un logement dans une villa de haut standing dans les Jardins de la Palmeraie avec voiture de luxe, ainsi qu'un traitement mensuel de 120.000 Dh sur une période d'une année. Rien que ça. Autrement dit, le Tunisien, enhardi, voulait mener grand train au Maroc aux frais de la princesse. Quel culot ! Plus grave, cette démarche douteuse n'était pas courtoise. Elle fut entreprise par l'intéressé sur le ton de la menace. “Faites ce que je vous dis ou je nuis à votre réputation“, lâche en substance le courtier qui croyait flairer le “pigeon“. Or, M. Berrada, scandalisé, ne donne pas suite à cette exigence, qui sent l'arnaque à plein nez. Pour un imposteur, force est de constater qu'il s'est pris de manière grossière. “Heureusement qu'il s'est démasqué à temps, j'ai failli m'associer avec des escrocs“, se dit M. Berrada, soulagé. Il l'a échappé belle. Mais l'affaire ne s'arrête pas là. Effectivement, le Tunisien mettra à exécution sa menace. Il porte plainte à l'encontre du patron du Palmeraie Golf Palace auprès du Tribunal de première instance de Marrakech. Motif : tentative d'escroquerie. Le plaignant prétendait dans sa requête qu'Abdelali Berrada avait l'intention de piéger le prince saoudien dans un projet dont les terrains ne sont pas autorisés. Un prince qui n'a du reste pas déboursé le moindre sou dans les diverses études engagées pour le projet en question… Faut-il encore signaler que l'agent indélicat a poursuivi en justice sans procuration de celui qu'il était censé représenter ! Après plusieurs audiences, le tribunal déboutera, le 14 novembre 2001, le plaignant sur la base d'une expertise ayant conclu et confirmé que le “projet a été effectivement autorisé en vue d'édifier 2064 appartements avec tous les équipements nécessaires“. Acquitté, Abdelali Berrada n'est pas encore au bout de ses peines. Ce serait compter sans l'insolence et la hargne de Ajroudi, qui se targuait d'avoir le bras long à Marrakech. Cette fois-ci, c'est le ministère public qui interjette appel du jugement du Tribunal de première instance en instruisant un dossier correctionnel à la Cour d'appel de Marrakech. À la surprise générale, cette juridiction casse le jugement précédent en condamnant Abdelali Berrada, le 17 juin dernier, à 6 mois d'emprisonnement avec sursis et à des dommages et intérêts d'un million de dirhams au profit du plaignant. Incroyable mais vrai. Ainsi, le juge de la Cour d'appel a validé dans un arrêt tapé à la machine ce que son collègue de première instance a contesté, à juste titre d'ailleurs. Car “pour considérer la tentative (d'escroquerie), il était nécessaire et obligatoire d'entamer l'exécution des démarches sans ambiguïté tendant directement à commettre l'escroquerie moyennant la ruse“. “Selon toute vraisemblance, note un juriste, la Cour d'appel a conclu en rendant son verdict que l'on peut condamner un individu même en l'absence de litige, de préjudice et de preuves“. En effet, le Saoudien et le Marocain n'ont pas conclu d'affaire. Juste une intention de travailler ensemble. “Figurez-vous, c'est sur cette base étrange que j'ai été condamné“, se désole Abdelali Berrada, qui crie à l'injustice. De cette histoire, la victime, qui a porté l'affaire devant la Cassation pour qu'il soit rétabli dans ses droits, conçut une grande amertume. Tout en restant confiant dans la justice de son pays.