L'occupation militaire de l'îlot Leïla par l'Espagne a révélé au monde un pays à la fois militariste et colonialiste. Elle couvre de ridicule le gouvernement Aznar et entache déjà les négociations au sujet de Gibraltar. L'Espagne ne sort pas glorieuse de son action militaire contre un rocher. Le ridicule la couvre désormais. Ce ridicule vient de l'insignifiance stratégique de l'îlot et de la démesure des forces déployées. Un porte-avions, des navires de guerre, des sous-marins, des hélicoptères contre six hommes. Cela ne s'est jamais vu auparavant ! Les Espagnols devaient se représenter des périls innombrables, et une intrépidité sans pareil de ceux qui défendent ce rocher pour envoyer un effectif aussi impressionnant contre six hommes. Ce ridicule n'a pas échappé au très sérieux journal allemand «Zeitung» qui a affirmé que l'Espagne «a engagé un important dispositif militaire pour un îlot, qu'une semaine auparavant, même les fonctionnaires du ministère espagnol des affaires étrangères n'en connaissaient pas l'existence». Outre le ridicule, le gouvernement de Aznar n'a pas vu, dans la précipitation de l'exhibition de ses forces, le revers de la médaille dans l'affaire du rocher. Si l'Espagne a agi de la sorte pour intimider le Maroc, craignant que Leïla n'ouvre l'appétit des Marocains sur Sebta et Mélilia, cette crise aura servi, au bout du compte, les intérêts du Maroc. Elle a révélé à ceux qui ne le savaient pas que l'Espagne est l'un des derniers pays colonialistes dans le monde. Le journal français «Le Figaro» a repris les mots de manifestants marocains devant le consulat d'Espagne. «Assez de colonialisme espagnol» pouvait-on lire dans les colonnes de ce quotidien. Aznar et son gouvernement se seraient bien passés de cette pub qui rappelle au monde que le pays qui se veut le gardien des portes de l'Europe par le Sud, occupe encore des villes en Afrique. Dans sa folie guerrière, dans sa fierté de conquistador qui ne souffre pas qu'un voisin du Sud ne courbe pas l'échine devant son arrogance impérialiste, Aznar n'a pas vu plus loin que le bout de son nez. Il n'a pas vu qu'il est en train de faire une publicité monstre à la présence anachronique de l'Espagne en Afrique du Nord. Il n'a pas vu qu'il met sous les yeux du monde l'un des derniers pays colonialistes. Il n'a pas senti qu'en préférant le bruit des armes à la diplomatie, il embarasse les pays de l'UE. Plus grave : il n'a pas vu qu'au moment où l'Espagne négocie le retour de Gibraltar, elle n'avait que faire d'une affaire qui entacherait irrémédiablement un accord avec la Grande-Bretagne. Il n'a pas vu qu'il défie toute logique et le bon sens universel en maintenant chez les autres ce qu'il refuse sur le sol de l'Espagne. Aznar n'a pas vu non plus qu'en agissant de la sorte, il prête son fier flanc aux piques sournoises de la presse britannique. Les médias britanniques n'ont pas raté le gouvernement espagnol. Gibraltar qui rappelons-le - les Espagnols font tout pour qu'on l'oublie - n'a pas été occupé par la force, mais vendu, moyennant une somme rondelette, par un roi espagnol à la Grande-Bretagne. Et bien, l'îlot Leïla est le caillou qui a mis les feux des projecteurs sur Gibraltar. Le journal «The Guardian» n'a pas laissé passer l'occasion sans rappeler que la politique belliqueuse des Espagnols a révélé leur «hypocrisie» à l'égard de Gibraltar. Ce journal va plus loin, parce qu'il ne se contente pas du différend au sujet l'îlot, mais rappelle que deux villes marocaines sont occupées par l'Espagne. «The Financial Times», qualifie, pour sa part, l'occupation militaire de l'îlot d'«acte de folie». Un autre journal a cité le dirigeant de l'opposition travailliste de Gibraltar, Joe Bassano, qui estime que la Grande-Bretagne ne peut plus discuter avec l'Espagne. Ce pays n'est pas digne de foi. Il a surpris le Maroc par son action militaire après s'être engagé à résoudre le différend par la voie diplomatique. Voilà ce qu'a récolté Aznar à son pays : une légitimation de la présence anglaise à Gibraltar. Mais il ne doit pas s'en préoccuper, obnubilé qu'il est par les élections prochaines et la victoire de son parti quasi acquise. Il ne voit vraiment que le bout du nez de sa petite personne et sert peu les intérêts de son pays.