Après le retrait par l'Espagne de ses troupes de l'îlot marocain Leïla, suite à une médiation américaine, les deux pays sont appelés à ouvrir le dialogue sur l'ensemble de leurs relations. Mais l'Espagne pose des préalables à ces négociations. L'Union européenne et la communauté internationale devront s'impliquer davantage pour assurer la paix, la sécurité et une coopération constructive dans la région méditerranéenne. Etait-il nécessaire d'aller jusqu'au bord de l'affrontement militaire pour finalement revenir à un statu quo ? L'affaire de l'îlot Leïla a pris des dimensions qui dépassent de loin la nature et la superficie du rocher. Une affaire pas comme les autres. Depuis le 11 juillet, jour où douze gendarmes marocains ont installé un poste d'observation sur l'îlot marocain, les menaces espagnoles s'en sont suivies et ont donné lieu à une opération militaire de grande envergure qui a permis aux soldats espagnols, tous corps d'armes confondus, de «déloger six gendarmes marocains», les derniers restés sur le rocher. Des bâtiments de guerre, plus long que l'ilot, rodaient autour. Des hélicoptères sillonnaient le pourtour de la région, violant l'espace aérien du Maroc. Un véritable état de guerre. Il a fallu l'intervention américaine et la mise à nu des divergences européennes sur le sujet pour que Madrid opère le retrait de ses troupes en mal de gloire. L'accord a conforté la position du Maroc qui a posé comme préalable et obtenu le retrait immédiat des troupes d'invasion espagnoles avant tout dialogue. Collin Powell, secrétaire d'État américain, s'est impliqué personnellement et au nom de la première puissance mondiale pour apaiser la tension aux portes de l'Europe. Ce fut également à la faveur de la position française qui n'a pas cautionné l'invasion espagnole et au changement de ton de la position européenne, virée du soutien inconditionnel de l'Espagne à plus de retenue… Les conversations téléphoniques de M. Powell avec S.M. le Roi Mohammed VI et la partie espagnole ont mis l'accent sur le retrait de l'armée espagnole de l'îlot occupé par la force mercredi et annoncé l'ouverture d'un dialogue au niveau des ministres des affaires étrangères des deux pays aujourd'hui à Rabat. Plusieurs dirigeants européens, conscients de l'importance stratégique du Maroc et de la vitalité de la relation Maroc-Union européenne ont oeuvré en vue de mettre fin aux premiers errements qui risquaient de compromettre toutes les possibilités d'aller ensemble de l'avant. L'avenir des relations entre le Maroc et l'UE, voire l'avenir de tout le pourtour méditerranéen, était hypothéquée par une issue négociée de la crise créée par Madrid. Cette prise de conscience européenne a engendré des fissures au niveau de la solidarité qui se voulait unanime au départ avec Madrid qui craignait sérieusement d'être en partie désavouée au prochain conseil des ministres des affaires étrangères des quinze à Bruxelles. Et comme l'ont révélé certains chefs de partis politiques marocains, l'affaire Leïla permet au Maroc de soulever l'ensemble des dossiers en suspens avec l'Espagne. Notamment les deux villes occupées de Sebta et Mellilia. Et comme l'a si bien relevé le journal italien La Républica, l'Espagne aime la théâtralité, le reste des observateurs internationaux, tournés vers cette région stratégique, se sont rendus à l'évidence. Leur intérêt s'est focalisé sur «l'anachronisme colonial que Madrid continue de perpétuer en terre marocaine, dans les présides de Sebta et Mellilia et sur les autres îles et îlots occupés par l'Espagne dans les eaux marocaines, alors qu'elle dénonce le même phénomène, s'agissant de Gibraltar.» En se rendant à l'évidence et en mesurant à sa juste valeur l'unanimité des Marocains dès qu'il s'agit de questions liées au territoire national, et après avoir pris en considération les éclairages d'historiens, y compris espagnols, l'Europe a fait marche arrière. Et Romano Prodi, qui annonçait quelques jours auparavant le soutien de la commission européenne à Madrid a changé de cap. "Nous comptons poursuivre nos bonnes relations avec le royaume du Maroc, qui est un important pays voisin, et ami", a tenu à affirmer son porte-parole. Reste maintenant à prendre connaissance des termes de l'accord entre les deux pays. A Madrid, on laissait espérer que la teneur de l'accord serait rendue publique à l'issue de la rencontre d'Ana Palacio avec Mohamed Benaïssa. "Il s'agit de conversations", auxquelles Mme Palacio s'était dite disposée où et quand le souhaiterait son homologue marocain, dès qu'une solution serait trouvée pour Leïla, avait déclaré un porte-parole du gouvernement. Les deux chefs de la diplomatie reprendront ainsi un contact direct interrompu, du moins officiellement, depuis mercredi à l'aube, lorsque les forces spéciales espagnoles avaient délogé les militaires marocains de l'îlot dont ces derniers s'étaient emparés le 11 juillet. Madrid, comme Washington, parle d'un accord sur un retour au statu quo antérieur au mois de juillet, c'est-à-dire une démilitarisation de l'île marocaine. Madrid estime pour sa part que Leïla bénéficie depuis 40 ans d'un "statut accepté par le Maroc et l'Espagne aux termes duquel ni le gouvernement espagnol, ni le gouvernement marocain n'occuperont l'île". L'affaire de l'îlot n'est pas vraiment close. Les négociations doivent aboutir à un accord définitif permettant au Maroc de recouvrer pleinement sa souveraineté sur ses territoires. C'est la seule condition pour que les rapports Maroc-Espagne et Maroc-UE ne souffrent plus à l'avenir des sautes d'humeur de dirigeants comme José Maria Aznar, chef du gouvernement espagnol…