«Tachemkarte», un phénomène de société. A Casablanca, dans certains endroits bien connus, ce fléau prend de l'ampleur. Des groupes d'enfants s'y rencontrent chaque soir. Reportage. Vers la fin de la soirée, dans le jardin limitrophe à Sekkala sur le boulevard des Almohades, dans les parages de Chnider, sur le jeté de l'avenue Moulay Youssef et pendant la nuit dans le boulevard de Mohammed V et le passage Laglaoui, le phénomène des enfants qui se shootent, « chemkara » prend de plus en plus de l'ampleur. En groupe de deux ou trois, avec des habits déchirés et complètement maculés, des petits sacs en plastique, remplits du silicium, collés au nez, ils inhalent l'odeur qui se dégage du sac en question. Le spectacle est impitoyable. Pendant ces moments, ces enfants, qui se connaissent très bien entre eux, sautent d'un sujet à l'autre dans leur atmosphère, sans se soucier des regards pétris d'indignation des passants, comme si leurs actes sont tout à fait normaux. Ils ramassent des mégots, jetés par terre, pour se rouler des cigarettes. Le produit utilisé en poche, chaque fois qu'ils sentent que l'intensité du silicium diminue, ils procèdent à l'alimentation du fameux sac en plastique. En s'approchant d'eux, l'odeur du silicium et les bouffées empestées, qui se dégagent, agressent l'odorat. Alors que pour eux, tant que ces odeurs sont empuanties, tant que le degré de «tachemkarte » est bon. Embarqués dans le monde de « tachemkarte», le visage pâle, les yeux enfoncés, les pieds presque nus, une fois la dose est atteinte, ils rejoignent leur coins habituels pour passer le reste de la nuit, dans les parages de la gare routière, les habitations abandonnées, dans les escaliers de certains immeubles, qui n'ont pas de gardien, etc. Après une journée d'errance, ils s'allongent n'importe comment sur des morceaux de cartons et s'assoupirent rapidement. Said, 14 ans, natif de la région de Beni Mellal, affirme que le fait d'inhaler le silicium pendant le soir lui permet d'oublier complètement les problèmes de ce monde. C'est dire qu'il s'agit d'une façon pour fuir l'amère réalité, surtout que ces enfants se sont trouvés dans cette situation, notamment après la dislocation de la cellule familiale, la pauvreté et l'ignorance des parents. «Je travaille au cours de la journée comme cireur à la gare routière d'Ouled Ziane, et le soir je descends en ville pour rencontrer mes amis du groupe», a précisé Said, en soulignant qu'il a quitté sa ville natale pour le travail après la mort de ses parents. Quant aux produits utilisés, silicium, ils l'acquièrent, dans la plupart des cas auprès des «guerrab», notamment dans la rue de Chlouh dans l'ancienne médina. Ils le payent à plus de trois fois son prix de vente dans les magasins, car ces derniers sont interdits de leur vendre le poison en question. Si le «chemkar» est appréhendé par les éléments de la police en possession du produit, il sera obligé de leur montrer sa source d'approvisionnement. Dans ce cadre, force est de constater qu'en dépit des efforts déployés par les différentes composantes de la société civile en vue de mettre un terme au fléau des enfants errants dans les rues, le phénomène persiste encore.