Abdellah est un co-locataire qui a refusé de payer sa part des factures d'eau et d'électricité, qu'il estime injuste, ce qui a empoisonné ses relations avec les propriétaires. Et le drame est arrivé. Abdellah tue le fils du propriétaire et il est paralysé à vie. Chambre criminelle près la Cour d'appel de Rabat. Le silence règne dans la salle d'audience. Le président prend un dossier sur lequel il pose les yeux. «Dossier n° 22/2001/268, H. Abdellah…», appelle-t-il. Un policier s'avance vers un jeune homme assis sur une chaise roulante. Abdellah, c'est lui. Le président anonce : «Tu es poursuivi, selon les articles 392, 393, 394 du Code pénal, pour homicide volontaire avec préméditation et guet-apens…». L'assistance reste bouche-bée, dubitative. Comment un handicapé moteur peut-il tuer et encourir au moins la réclusion perpétuelle ?» Quand il s'est marié, Abdellah jouissait d'une parfaite santé. Ouvrier, il avait 32 ans. Il avait loué un deux-pièces au rez-de-chaussée d'une maison située au quartier Sidi Moussa, à Salé, dont le propriétaire occupait, avec ses deux enfants, eux aussi pères de famille, le premier et le deuxième étages. Il paie régulièrement. Il verse aussi sa part de la facture d'eau et d'électricité. Mais, au bout de six mois, il commence à faire ses calculs. Quand il rentre de son travail, sa femme lui dit : «Le propriétaire de la maison t'a demandé de payer ta part de la facture d'eau et d'électricité». Il jette un regard sur elle comme s'il voulait la dévorer. Perturbée, elle lui précise : «C'est ce qu'il m'a demandé, il y a une heure…». Sans lui répondre, il rentre à la cuisine, ouvre le réfrigérateur, prend son repas et retourne dans sa chambre. Sa femme vient s'asseoir près de lui. Il commence à manger. Elle lui prépare un verre de thé et saisit l'occasion pour l'interroger : «Est-ce que tu t'es énervé quand je t'ai parlé de la facture d'eau et d'électricité ? Je sais que je ne devais t'en parler qu'après quelques moments de repos». Il se tourne vers elle, lui sourit, lui entoure tendrement les épaules de son bras, l'attire doucement vers lui et l'embrasse. «Tu ne m'as pas énervé…Mais je ne trouve pas logique de payer 50% des factures d'eau et d'électricité alors qu'on est seulement deux. Combien consommons-nous ?». Elle se contente de lui demander de patienter. «Non, ça suffit !», lui répond-il, très énervé. Quelques minutes plus tard, ils entendent des coups à la porte. Elle ouvre. C'est le propriétaire. Elle appelle son mari. Celui-ci arrive, échange un salut avec lui. Le propriétaire lui demande de payer sa part de la facture d'eau et d'électricité. Abdellah refuse. «C'est illogique que je paie la même part que toi alors que vous êtes nombreux…», proteste-t-il. Le propriétaire s'arrange avec lui et rentre chez lui. Depuis, la même symphonie se répète entre Abdellah et le propriétaire à chaque fin de mois. Leur relation s'en est trouvée perturbée. Finalement, Abdellah décide de ne plus payer la facture d'eau et d'électricité. Et les «engueulades» commencent entre les deux familles. Le jour «J» arrive. Sept heures du matin. Abdellah se réveille, ouvre sa chambre, se dirige vers la cuisine. Mais quelque chose attire son attention. Il s'arrête, lève les yeux, surpris. Une couverture est mise sur l'ouverture du plafond qui sert à aérer le rez-de-chaussée. Il s'interroge avec une grande nervosité : Qu'est-ce que c'est ? Qui a mis cette couverture ?». Sa femme quitte le lit, le rejoint et tente de le calmer. Mais en vain. «Donne-moi une chaise et la table», demande-t-il à sa femme. Juché sur son échelle de fortune, il retire la couverture. Aussitôt, la belle-fille du propriétaire se met à l'insulter. Abdellah lui rend ses injures. Sa femme tente toujours de le calmer. Mais elle n'y parvient pas. La fille d'en haut commence à jeter des pots de plantes. Hors de lui, Abdellah continue à l'injurier, à la qualifier de «prostituée». Samir, un des fils du propriétaire, descend en courant, armé d'une barre de fer. Il pousse violemment la porte. La femme d'Abdellah crie au secours. Abdellah se réfugie dans une chambre, dont il ferme la porte. Samir, l'ouvre avec effraction. Abdellah se saisit d'un couteau de cuisine, réussit à prendre la fuite. Samir le poursuit, lui fait un croc-en-jambe. Abdellah tombe à terre. Samir lui assène un premier coup de sa barre en fer. Abdellah crie de douleur, avant de se relever. Samir recule un peu en arrière, lève son bras droit, s'apprête à lui asséner un deuxième coup. Abdellah n'avait le temps ni de reculer, ni de s'enfuir. D'un geste rapide, il plante son couteau dans le cœur de Samir. Celui-ci tombe à plat ventre. Abdellah prend ses jambes à son cou, pour ne s'arrêter que … devant la porte du commissariat de police. Là, il s'évanouit. Les policiers ont appelé la protection civile. Abdellah a été évacué vers les urgences de l'hôpital. Quand il se réveille, il apprend qu'il est paralysé à vie. Et Samir? Il a été enterré. «J'étais en état de légitime défense», explique-t-il, les larmes aux yeux. Il a été jugé coupable. Mais il a bénéficié des circonstances atténuantes et a été condamné à 10 ans de prison perpétuelle. Un drame qui aurait pu être évité si les tensions ne s'étaient pas autant exacerbées et si on avait essayé de résoudre les choses raisonnablement.