L'ambassadeur du Maroc aux Émirats Arabes Unis est catégorique : “notre ambassade n'a rien à voir avec l'opération de recrutement d'Al Najat“ à bord de bateaux de croisière. L'Anapec s'accroche aux chimériques 30.000 ou 40.000 emplois à bord de bateaux de croisière comme huîtres à leur rocher. Cette agence a publié le week-end dernier deux fois de suite une annonce en première page des organes de presse de l'Istiqlal (Opinion et Al Alam) où elle informe les candidats «déclarés aptes» (on ne sait par qui) que le dernier délai de dépôt des dossiers est fixé au jeudi 27 juin. Il ne manquait plus que cela : faire de la pub à une gigantesque escroquerie à l'embauche ! Avouez que c'est fort de café. S'entêter à aller à contre-courant avec tant de zèle est vraiment déroutant. Et pourtant, même du côté de l'ambassade du Maroc aux Émirats Arabes Unis, le scepticisme gagne du terrain. L'ambassadeur Abdallah Azmani, qui dégage d'emblée sa responsabilité et celle des Affaires étrangères dans cette sulfureuse affaire, est catégorique : «L'ambassade n'a rien signé avec l'agence émiratie Al Najat pour la simple raison qu'il s'agit d'une société privée. C'est aux responsables au Maroc de vérifier au préalable le bien-fondé de l'opération de recrutement en question avant d'entreprendre quoi ce soit». Le leader de l'Istiqlal, Abbas El Fassi, a tâché lors de son passage sur 2M, jeudi 20 juin, de se cacher derrière le ministère des Affaires étrangères et de celui de l'Intérieur et même des appareils de sécurité du pays dans une tentative de se dédouaner à double titre : en tant que patron de l'Istiqlal et en tant que ministre de l'Emploi. Et au passage pour trouver des circonstances atténuantes au directeur général de l'Anapec Chafik Rached. Cette posture a un nom : le renvoi de la patate chaude dans les camps adverses. Le message de l'invité de la deuxième chaîne sous-entendait à peu près ceci : si l'opération s'avérait vraiment foireuse, je ne serais pas le seul à porter le chapeau. Le ministre a même cru bon d'exciper des «excellentes relations» entre le Maroc et les Émirats Arabes Unis comme si cela était un gage du sérieux du business d'Al Najat. Mais que vient faire cet argument, il est vrai déplacé, dans une question qui n'a aucun caractère officiel ? La représentation diplomatique marocaine à Abou Dhabi ne l'entend pas de cette oreille. Pour elle, l'usage fait au Maroc de cette offre d'embauche ressemble à du «poker politique». Là-bas, on ne comprend pas pourquoi l'Anapec est allée jusqu'aux provinces du Sud au risque de créer un «problème politique au Sahara». En tout cas, l'agence dirigée par M. Rached a fait un travail fabuleux : elle a labouré le Maroc profond à la manière d'un homme politique en campagne… Par ailleurs, Abdallah Azmani marque son «grand étonnement» sur un détail précis qui est en fait la face émergée et partant visible de l'iceberg de l'arnaque : les 900 Dhs payés cash par chaque candidat alors qu'il n'est pas encore sûr que l'intéressé soit sélectionné ni même présélectionné. L'ambassadeur trouve également «incompréhensible» le fait de donner le monopole à une seule clinique privée de Casablanca, en l'occurrence Dar Salam du docteur Bahnini… Que des interrogations et des zones d'ombre… Abbas El Fassi, qui a une foi presque religieuse dans l'offre mirifique d'Al Najat, a déclaré lors de la même émission sur 2M que Chafik Rached a ramené de son voyage émirati des garanties dûment signées de remboursement des candidats au cas où l'affaire tomberait à l'eau… Ce serait effectivement une porte de sortie, un marché honnête si Al Najat avait officiellement encaissé de l'argent. Ce qui n'est pas le cas. La vérité- et c'est-là toute l'ingéniosité du procédé de l'escroquerie- est que la clinique a fourni une prestation médicale pour laquelle elle s'est fait payer. Point barre. Autrement dit, sur le nerf de la guerre, Al Najat est aussi insaisissable qu'une anguille. Al Najat, tout comme la clinique d'ailleurs, n'a rien à rembourser….Cherchez la combine. C'est pour cela que l'ambassade du Maroc, qui a flairé la filouterie, a conseillé à M. Rached de prendre ses précautions en faisant une saisie-conservatoire sur le passeport du directeur général d'Al Najat, Ali Pasha, afin de l'empêcher de quitter le territoire émirati. Une source digne de foi au ministère des Affaires étrangères à Rabat nous a expliqué, quant à elle, sous le couvert de l'anonymat, que le cerveau de l'arnaque n'est autre que le directeur commercial d'Al Najat, Mohamed Salim, lequel «a utilisé le nom de la boîte pour mener les Marocains en bateau». Cette même source ajoute: le courrier adressé par notre ambassade au ministère de l'Emploi sur cette affaire de recrutement ne dispense nullement ce dernier de vérifier auparavant, prudence oblige, la véracité des milliers de contrats de travail proposés… Au lieu de prendre de bonnes résolutions, Rached a gobé encore une fois les balivernes des responsables d'Al Najat qui lui ont donné un autre délai d'embauche du premier contingent : le 31 juillet. Une échéance pour le moins fantaisiste. D'abord, parce que pour un programme qui a démarré en février dernier, le fameux certificat médical, selon M. Azmani, risque à juste titre d'expirer et par conséquent d'être considéré comme nul et non avenu. Ensuite, à notre connaissance, les croisières sont prisées pendant la saison estivale qui a d'ores et déjà commencé. À moins que Ali Pasha ne possède des jobs particuliers pour des balades en haute mer sous les intempéries.