La presse algérienne balbutie à donner un sens au départ du général Mohamed Lamari. Si elle regrette majoritairement cette démission, elle essaie toutefois de sauver la face pour maquiller une crise. Le successeur du général démissionnaire n'a pas toutefois été épargné. Lecture des indices d'un malaise algérien. En claquant la porte, le général Mohamed Lamari a fait beaucoup de bruit. La presse algérienne adopte une attitude ambiguë pour donner du sens à ce départ. Le Quotidien d'Oran salue cet événement comme une victoire personnelle du président Bouteflika : «tous les observateurs s'accordent sur le fait que la démission du général Lamari donne désormais toute latitude au président de la République de procéder sans résistance notable aux changements qu'il veut dans les institutions et l'appareil administratif de l'Etat.» Il y avait donc de la résistance dans l'armée ! Ce journal justifie même la démission du tout puissant général par «un champ politique sans partis politiques. Une société sans mouvements associatifs. Une économie de marché sans investisseurs». Il déplore les interventions du militaire «avec des discours à multiples lectures» et fait un feu d'artifice à M. Bouteflika qui a très justement rebaptisé «la grande muette » l'armée algérienne. Le quotidien Liberté rappelle pour sa part le mois qui a précédé l'annonce officielle de la démission du général. « La dernière apparition publique du général de corps d'armée remonte au 5 juillet. Mais le 16 juillet, il n'a pu remplir sa fonction protocolaire à l'occasion de la visite de Alliot-Marie, ministre française de la Défense. » Depuis cette date-là, le départ du général est apparu comme irrévocable. Le Jeune indépendant décrit par voix interposée, en citant un article paru dans le journal français Le Monde, les détails de la disgrâce du général Lamari. Pourquoi se référer à un journal étranger pour parler de ce qui se passe chez soi ? Est-ce de la prudence pour ne pas prendre position ? Quoi qu'il en soit, ce journal parle de confrontation «brutale» entre le président Bouteflika et le général Lamari à l'occasion de promotions de militaires : «alors que le Président, traditionnellement, procède aux nominations sur les conseils de la hiérarchie militaire, M. Bouteflika, cette fois, a fait son choix seul». Et d'ajouter: «Pour mieux marquer ses distances avec le chef des décideurs militaires, il (Bouteflika) a également rappelé publiquement son rôle constitutionnel de chef des armées». L'embarras de certains journaux à commenter frontalement ce départ est particulièrement visible dans la posture du quotidien Liberté qui regrette sincèrement le démissionnaire, mais ne sait pas comment exprimer ses regrets. Il procède d'une façon inaccoutumée : il défend a posteriori des rumeurs sur l'état de santé du général rendues pourtant caduques par sa démission effective. «Or, sans préjuger de la forme physique réelle du désormais ex-chef d'état-major, nous n'en sommes pas encore là, en matière de culture du pouvoir. Y compris chez les militaires, dont certains, visiblement bien plus éprouvés par l'âge que le général Lamari, continuent à occuper des charges importantes dans l'armée ou dans d'autres secteurs tout aussi importants.» Ah ! le général Lamari n'était pas donc le plus mal portant de l'armée algérienne. Cet avis est partagé par le quotidien l'Expression qui regrette amèrement la disgrâce de l'un de ses souffleurs. Ce journal essaie d'abord de sauver la face : «le départ du patron de l'armée algérienne Mohamed Lamari et son remplacement par le général-major Gaïd Salah s'est fait dans la correction la plus totale». Et dans la phrase qui suit, il embraie par «cette fracture au sein de l'état-major de l'armée…» On ne peut que rester songeur devant l'annonce de cette correction fracturée. D'ailleurs, l'auteur de l'article ne se retient pas pour affliger le successeur du général Lamari : «Cependant, le général-major Gaïd Salah ne saurait être que chef intérimaire de l'ANP (l'armée algérienne, ndlr), jusqu'à nomination du nouveau général de corps d'armée, le plus haut gradé de l'armée. Atteint par la limite d'âge, largement septuagénaire, Gaïd Salah assurera la cohésion de l'armée jusqu'à nouvel ordre, vraisemblablement jusqu'à la fin de l'année». La guerre de succession est déclarée. Et si ce journal l'annonce entre généraux galonnés, il est clair que le président Bouteflika ne leur lâchera pas les rênes du pouvoir. D'après le Quotidien d'Oran : «A l'exception de Boumediène, jamais président de la République n'a bénéficié d'un pouvoir aussi étendu que celui dont jouit désormais Bouteflika après sa réélection. D'où que l'on regarde l'on constate qu'il a les coudées franches pour organiser comme il le souhaite son mode de gouvernance.» A la lecture des journaux algériens, l'on comprend vite la tension qui pèse sur ce pays après le départ du tout-puissant général. M. Bouteflika a tenté d'y faire diversion en envoyant sa lettre sur le Sahara à Kofi Annan. Pourtant, le président Bouteflika ne serait vraiment souverain dans ses décisions que s'il adoptait une posture de chef d'Etat sur un dossier, traditionnellement du ressort de l'armée algérienne.