Industriel qui n'a pas sa langue dans la poche, Othman Seqat livre le fond de sa pensée. L'implantation des grandes marques au Maroc n'est pas un problème. Le péril réside dans l'absence de règles de jeu claires. ALM : Pensez-vous que les franchisés au Maroc constituent une menace pour le secteur textile? Othman Seqat : Au contraire, l'implantation des grandes marques au Maroc est une chance pour nous. Elle s'inscrit dans la droite ligne de libéralisation du secteur. D'autant que ces marques sont amenées, tôt ou tard, à s'installer au Maroc. Nous avons tous à y gagner. Personnellement, je ne suis pas pour la fermeture des portes. Si on veut un jour voir se concrétiser le mouvement de délocalisation envers notre pays, nous devons bien faire quelques concessions. Seulement, si on opte pour la libéralisation, il faut mettre en place une véritable politique. Il est nécessaire dans cette transition de soutenir les industriels comme l'a fait l'Italie, un pays de tradition libérale. Libéraliser ne signifie pas laisser couler le secteur. Je ne comprend pas que quand il y a une banque qui fait faillite, on débloque des fonds énormes, des milliards et qu'on laisse des usines fermer sans réagir. Faut-il, pour aider le secteur, établir des prix de référence ? A mon avis, c'est une contradiction flagrante avec la libéralisation. Il faut choisir. Ou bien on opte pour la libéralisation, ou bien pour le protectionnisme. Ce n'est pas avec de telles mesures restrictives que l'économie marocaine sera prête pour la mondialisation. Ce que veulent les industriels, c'est des mesures claires et franches. Entre 20 et 30% des usines ont fermé ces dernières années à cause des admissions temporaires. Les responsables doivent changer d'idéologie et arrêter de faire telle ou telle loi pour protéger ou aider des copains. Qu'on nous fixe les règles du jeu. Nous sommes prêt à jouer le match qu'il faut, mais dans les règles de l'art. Aujourd'hui, la Tunisie, grâce à des mesures spectaculaires, compte 700 000 ouvriers dans le secteur textile et habillement. Au Maroc nous ne sommes plus à 200 000 mais 190 000 employés. La différence c'est que chez nous voisins, il y a une véritable politique de soutien au secteur. En quoi l'admission temporaire (AT) entrave-t-elle la bonne marche du secteur ? L'admission temporaire relève d'une autre époque, quand les droits de Douane étaient appliqués à un taux de 120%. A l'époque, l'AT avait lieu d'être. Mais aujourd'hui, avec ce que l'on trouve à Derb Omar et dans les autres marchés, cette mesure n'a plus raison d'être. Il faut avoir le courage d'évoluer. Pourquoi ne pas faire comme la Tunisie et donner la responsabilité morale aux responsables d'usines. Là-bas, les camions de matières premières débarquent des ports et rallient directement l'usine. Le temps gagné est important. Au Maroc, à cause de l'AT, plusieurs cargaisons passent des mois au port. Des clients sont taxés jusqu'à 800 000 dirhams à cause d'une erreur sur la caution. Il y a des dizaines de cas. Ce que nous voulons, c'est des règles claires et cohérentes. Quelles réformes attendez-vous de l'actuel ministre de tutelle pour tirer le secteur du marasme? Il faut tout faire pour éviter les fermetures des usines. Certaines sont là depuis plus de trente ans mais sont sans défense face au lobby bancaire, lequel a tari nos cash flow. Il y a quinze, vingt ans, les taux d'intérêts bancaires frôlaient 16 à 17%. Aujourd'hui, ils sont déclarés à neuf mais arrivent facilement à 12%. Ce n'est pas loin de l'usure. Il y a à creuser de ce côté-là. On veut bien jouer le jeu du libéralisme, mais encore faut-il revoir certaines choses. Actuellement, nous sommes à 60% de charges, la Tunisie est à 5%. L'Egypte qui vient à peine de poser ses pieds est à 0%, le même taux que la Chine. On ne peut pas aider le secteur sans revoir tous ces problèmes qui entravent la bonne marche de notre économie. Le textile marocain est très demandé, très coté car en matière de qualité, beaucoup a été fait. Nous n'avons pas peur de la Chine, pourvu qu'on nous donne des armes pour combattre et faire jeu égal avec nos concurrents. Par ailleurs, l'actuel ministre nous demande de vendre des produits finis. Mais, c'est une transition qui ne se fera pas d'une baguette magique. C'est tout un processus qu'il faut mettre en place. A mon avis, il faut toute une génération pour arriver à cette mutation. Cela dit, il y a quand même des opérateurs qui vendent des produits finis. Certains décideurs voient dans cette terminologie, «produits finis», les marques. Il ne faut pas brûler les étapes. On fait actuellement des produits finis pour les chaînes de boutiques. Créer des modèles, des marques, c'est une autre histoire. De quels avantages avez-vous bénéficié du contrat-programme établi avec le gouvernement ? En gros, ce contrat programme accorde à l'entreprise un abattement de 50% des charges de la CNSS, 20% de la facture de l'énergie, mais à une condition. Il faut être à jour avec la CNSS, avec le fisc, etc. Si une entreprise est à jour, elle n'a pas besoin d'aides. C'est la même erreur qui accompagne les fonds de mise à niveau qui n'ont pas rencontré grand succès d'ailleurs. Des millions sont utilisés à cause d'une approche peu adéquate.