Cette semaine, l'Afghanistan avait rendez-vous avec l'Histoire. Entamer sa reconstruction politique et sociale est un défi que le pays veut relever malgré la pression extérieure et le pouvoir encore fort des chefs locaux. «Donnez du travail aux seigneurs de la guerre et ils laisseront leurs kalashnikov accrochées au mur», a déclaré jeudi Massoud Khalili. Aujourd'hui ambassadeur afghan en Inde après avoir été blessé lors de l'attaque mortelle contre le commandant Massoud en septembre 2001, M. Khalili sait certainement de quoi il parle. Il n'est d'ailleurs pas le seul à craindre que certains chefs de guerre ne menacent les résultats de la Loya Jirga après que certains d'entre eux aient réussi à s'infiltrer mercredi au sein de l'assemblée. Selon l'organisation de défense des droits de l'Homme Human rights watch (HRW), les délégués participant à la désignation du nouveau pouvoir ont même été soumis à des «intimidations» et sont sujets à une surveillance de la part des services de renseignement afghans. «Après avoir subverti le processus d'élection des délégués dans de nombreuses régions d'Afghanistan, les chefs de guerre tentent maintenant de détourner la Loya Jirga elle-même» assure un communiqué publié jeudi. Reconstruire s'avère donc une urgence. «Cette mission doit être l'objectif immédiat», a insisté jeudi le diplomate afghan qui a participé aux préparatifs de la Loya Jirga à Kaboul. Un rassemblement qui est selon lui «la pierre fondatrice de la stabilité politique» du pays. Il est en effet évident que l'Afghanistan ne pourra s'en sortir qu'en retrouvant la paix et un équilibre politique durable. Un système démocratique dont le Conseil était chargé d'élire les dirigeants provisoires en attendant les élections législatives prévues dans deux ans. Là encore, l'objectif s'est avéré moins aisé qu'il le laissait paraître. Les Etats-Unis, dont de nombreuses unités militaires ratissent encore le sol afghan, sont soupçonnés de s'être ingéré dans le débat concernant le futur président. La défection de l'ancien roi très populaire Zaher Shah, celle de l'ex-président Rabbani, et leur soutien immédiat apporté à Hamid Karzaï, ont suscité nombre de suspicions de la part des Afghans. Certains des 1551 délégués sont même allés jusqu'à quitter la conférence mercredi. «Une ingérence inacceptable» de Washington – dont l'objectif serait de maintenir leur allié Karzaï à la tête du pays – sur laquelle HRW est revenu jeudi. Selon l'organisation, l'envoyé spécial américain en Afghanistan, Zalmay Khalilizad, a bel et bien «joué un rôle important dans la mise à l'écart de l'ancien roi Zaher Shah». «Cela a conduit les Afghans à penser que les Etats-Unis avaient décidé à l'avance du choix qui doit être fait par la Loya Jirga», ajoute le rapport. HRW assure même, citant des délégués sous couvert d'anonymat, que «quelques uns des principaux chefs de guerre se sont réunis lundi soir afin de se partager le pouvoir au sein du nouveau gouvernement»… Ce qui n'a pas empêché Hamid Karzaï de postuler à la magistrature suprême et de rester le favori des trois candidats en lice. Celui qui a dirigé durant six mois le gouvernement intérimaire créé à Bonn, le 5 décembre, peu après la chute des Taliban, est certes crédité d'un bon bilan, avec une relative pacification et le retour d'un million de réfugiés. Mais le soutien inconditionnel qu'il a reçu cette semaine – tout comme lors des accords de Bonn - de la part des Etats-Unis, ne va-t-il pas finir par se retourner contre lui ?