Abdelhafid, 26 ans, a été condamné à trois ans de prison pour avoir allumé un incendie chez lui. Il risquait la peine capitale. Mais il clame son innocence, en expliquant qu'il n'a fait que brûler ses vêtements, qui, dit-il, étaient «ensorcelés». Chambre criminelle près la Cour d'Appel de Casablanca. La salle n° 8 est archicomble. Le président de la cour y accède avec ses quatre assesseurs, suivis du représentant du ministère public et du greffier. L'assistance se lève. Le président leur demande de se rasseoir, ouvre le dossier (…), appelle : «Abdelhadi…» Un jeune homme de petite taille se lève des bancs des accusés, s'avance vers le box, la tête baissée. Le président reprend : -Ton nom, ton âge, ta profession, ton adresse. -Abdelhadi. A, 26 ans, sans profession, je demeure à Derb hadj Abdellah, répond le jeune homme. Le président consulte le dossier, feuillette les documents des procès-verbaux, demande à l'assistance le silence, avant de s'adresser à Abdelhadi : -Tu es accusé, selon les dispositions de l'article 580 du Code pénal, d'avoir mis le feu dans la maison paternelle…Selon l'enquête policière, tu demandais à chaque fois à tes parents et à ton frère de te verser de l'argent pour acheter ta dose de haschisch et de comprimés psychotropes…Et la dernière fois, tu as menacé de mettre le feu s'ils refusaient de te donner de l'argent…Et lorsqu'ils ont refusé, tu es passé à l'action. Que réponds-tu à ces accusations ? Abdelhadi lève les yeux, regarde les magistrats et balbutie, tente de se disculper : -Non, je n'ai rien fait, Monsieur le président, je n'ai pas mis le feu au domicile de mes parents. -Et qu'est-ce que tu as fait ? Raconte nous ta version… -Quelqu'un m'ensorcelle…à chaque fois que je fouille mes vêtements, je découvre qu'ils sont aspergés d'un liquide huileux, de couleur marron…Cette fois-ci, j'ai décidé de les brûler et effectivement j'y ai mis le feu lorsque j'ai découvert qu'ils sont, une fois encore, ensorcelés… Je n'ai mis le feu qu'à mes vêtements, Monsieur le président… Le président appelle le père. Le quinquagénaire prête serment. «… Je n'ai rien vu, mais il m'a dit qu'il avait brûlé ses vêtements parce qu'ils sont ensorcelés…», dit-il à la Cour. Le président convoque cinq témoins, tous des voisins du quartier. «…Abdelhafid est un enfant cruel, «maskhoute», qui ne respecte personne dans le quartier. Il se bagarre avec tout le monde pour le moindre malentendu…», déclare l'un des témoins. «…Il a demandé à son frère quelques dirhams pour acheter deux comprimés psychotropes, sinon il mettrait le feu chez lui…», dit le second témoin. «…Il a menacé ses parents dans un premier temps avec un couteau et il a tenté d'asséner des coups de bâton à son frère…et enfin il a mis le feu à sa chambre…heureusement qu'on a alerté les sapeurs-pompiers au moment opportun, sinon ça aurait été la catastrophe…». Le président s'adresse au mis en cause : «Tu as entendu ces témoignages, qu'en penses-tu ?». Le mis en cause continue à clamer son innocence : «…Ce sont des mensonges, Monsieur le président…je n'ai jamais demandé de l'argent ni à mon frère ni à mes parents…Ils me détestent tous. Et c'est la raison pour laquelle ils m'ensorcellent. Ils veulent se débarrasser de moi Monsieur le président…». «…Peut-on croire aux mensonges et aux délires du mis en cause Monsieur le président ?…», s'interroge le représentant du ministère public, entamant son réquisitoire. «…Non, Monsieur le président, reprend-il, le mis en cause est un drogué, cruel, qui a une mauvaise réputation dans son quartier…En plus, la police judiciaire ne peut inventer cette histoire d'incendie. C'est lui-même qui l'a racontée…C'est la raison pour laquelle on doit le juger coupable…». L'avocat de la défense, entame sa plaidoirie, exprime sa surprise en criant : «…L'article 580 du Code pénal qui stipule que « quiconque met volontairement le feu à des bâtiments, logement, loges, tentes, cabines même mobiles, navires, bateaux, magasins, chantiers, quand ils sont habités ou servent à l'habitation et généralement aux lieux habités ou servent à l'habitation, qu'ils appartiennent ou n'appartiennent pas à l'auteur du crime, est puni de mort…» est loin d'être compatible aux aveux du mis en cause…». «…Abdelhafid s'est contenté de mettre le feu à ses vêtements, reprend l'avocat, et par conséquent comment peut-on concevoir que l'on puisse condamner à la peine capitale quelqu'un qui a mis le feu à ses vêtements pour s'en débarrasser. Ceci est absurde et contredit l'article 580 du Code pénal qui ne mentionne pas les lieux servant à l'habitation…». L'avocat a plaidé les circonstances atténuantes pour son client, puis il est retourné à sa place. Abdelhafid reprend sa place à côté des accusés, attend son jugement. Lorsqu'il tourne sa tête pour chercher sa mère des yeux et lui demander pardon, le président rend son verdict : « La cour juge Abdelhafid coupable, mais seulement pour l'incendie de ses vêtements. Elle lui attribue des circonstances atténuantes et le condamne à 3 ans de prison ferme». Abdelhafid quitte la salle d'audience, les larmes aux yeux et continue à chercher du regard sa mère qui pleure en silence.