Le retour à la vie des confréries se manifeste de plus en plus. Un paradoxe qui s'explique par l'éclatement des repères et la pesanteur de la vie moderne dans une société conservatrice. Le retour aux confréries est un phénomène qui grandit de jour en jour, y compris parmi les hautes sphères de l'Etat et des couches de nantis dotés d'une réputation moderniste. Considérées, depuis belle lurette, comme étant l'expression d'une époque révolue, les confréries reviennent doucement, mais avec force au-devant des scènes culturelle, sociale et politique. On les considérait éjectées par la poussée grandissante et irréversible de l'urbanité, or, les voilà qui reviennent au cœur des villes et s'installent, petit à petit, au centre de gravité de l'Etat. Parmi les adeptes des zaouias Tijania, à Fès, Boutchichia, dans la région de Berkane, Cherkaouia, à Boujad, T'hamia à Ouezzane et Derkaouia à Tanger et à Tafilalet , pour ne citer que ces dernières, l'on trouve des hauts commis de l'Etat, des dirigeants des partis politiques, et plusieurs cadres. Dans les rangs de la zaouia tijania, l'on avance le nom d'Ahmed Lahlimi, ministre des affaires générales du gouvernement, alors que parmi les boutchichiyines, l'on trouve, en même temps, les universitaires Ahmed Taoufiq et Abderrahman Taha, d'une part et de l'autre des hommes et femmes tel Khalid Jamai, ex-membre du Comité exécutif de l'Istiqlal. Un parti dont des dirigeants comme Aboubakr Kadiri et bien d'autres, sont membres importants dans leur milieu soufie. Psychologiquement, le retour aux zaouias dote les adeptes, selon leurs dires, d'une confiance morale qu'ils ont perdue au fil des ans et de repères nécessaires à leur survie. Une tâche difficile, dans un monde éclaté, sans référence confessionnelle ni convictions profondes. Fini, donc, le temps où les confréries étaient qualifiés de supports de l'archaïsme et de l'intelligence avec les forces coloniales et étrangères, d'une part, et les apôtres de la régression et de la dégradation de l'autre. Fini, également, le temps où elles furent considérées comme un produit étroitement lié à la vie paysanne, aux modes de gestion archaïques, féodales et sous couvert d'une pratique religieuse dénaturée. S'interposant entre Dieu et ses sujets. Aujourd'hui, les confréries couvrent tout le territoire national. Leur rythme de prolifération dépasse dans bien des cas, si ce n'est toujours, celui des partis politiques et des associations culturelles. Tous réunis. Leur ramification dans l'ensemble des strates de la société se fait de manière constante et progressive. Au travail d'inculcation des valeurs spirituelles propre à chaque confrérie, s'ajoute une action de fossilisation et de catharsis politique. Même les intellectuels de la gauche commencent à nuancer leurs jugements quant au rôle joué par les confréries dans la pénétration coloniale franco-espagnole au Maroc. Des jugements, qui furent selon plusieurs chercheurs et historiens, dont principalement Abdellah Laroui et Ahmed Taoufiq, alimentés par la propagande salafite, du début du siècle dernier, brandie par une nouvelle élite citadine, qui visait déjà le pouvoir.