Les 22 000 emplois de la clinique Dar Salam ne cessent de faire des remous. Fadel Benhalima consultant nous donne ici une contribution au débat. Le lièvre des 22 000 emplois levé par « Aujourd'hui le Maroc » risque de produire autant de dégâts qu'un éléphant fou dans un salon de porcelaines. Tous les ingrédients du scandale politique intérieur et international sont réunis. Une denrée rare : le travail à l'étranger ; une forte demande : plusieurs dizaines de milliers de jeunes candidats au départ, à qui s'offre le rêve d'une traversée de la méditerranée autrement qu'en patéra; des intermédiaires auxquels la nationalité, l'opulence et la fraternité du pays d'origine avec le nôtre confère, comme ça, un a priori de respectabilité ; des pouvoirs publics certainement de bonne foi, très heureux en ces temps de chômage et de veille d'élections de prouver leur souci de procurer de l'emploi ; et enfin un gros fromage pour les intermédiaires que sont des agences privées de recrutement et une clinique privée qui s'est ouverte le jack-pot du monopole de visites médicales sur des dizaines de milliers de jeunes candides, dès les départs captifs sur le chemin d'un monde inconnu. Que les 22 000 emplois soient réels ou fictifs, l'affaire est scandaleuse et elle expose non seulement ses opérateurs, mais aussi notre pays en tant que tel, à une opprobre certaine. Supposons que les emplois soient réels. Dans ce cas, pourquoi les pouvoirs publics n'ont-ils pas eu le souci de la loi nationale aux yeux de laquelle les agences privées de recrutement n'ont aucune existence légale? Pourquoi les agences publiques d'intermédiation et de placement n'ont-elles pas reçu la responsabilité totale et exclusive de la gestion de cette opération ? Pourquoi une clinique privée a-t-elle eu la jouissance monopoliste de visites médicales facturées à 900 dirhams par tête de pipe alors qu'il existe des hôpitaux publics et des centres de soins de la sécurité sociale ? Supposons même que les pouvoirs publics aient décidé de tolérer une transgression de la loi et d'accepter qu'une agence privée étrangère, en relation avec des agences privées locales ( sans existence légale ) puissent opérer ce recrutement avec, en bout de chaîne, la très opaque ANAPEC qui elle est un établissement public. Dans ce cas, pourquoi nul ne s'est inquiété de la conformité de cette opération aux normes du droit international de la migration, notamment la Convention 96 de l'OIT ( 1949, révisée ). Pourquoi nul ne s'est avisé qu'il existe, depuis 1997, des principes directeurs de l'OIT prévoyant des mesures spéciales à la charge des gouvernements pour la protection des travailleurs migrants lorsqu'ils sont recrutés par les agences privées. Parmi ces mesures, il en est une fondamentale qui veut qu'aucune charge ne soit imputée aux travailleurs pour leur recrutement, ceci conformément à la Constitution même de l'OIT dont le préambule affirme que « le travail n'est pas une marchandise ». La Convention 96 de l'OIT avait déjà prévu, depuis 1949, que les agences privées ne fassent pas supporter aux migrants, ni directement ni indirectement, ni totalement ni en partie, des frais ni des coûts de recrutement. Puisqu'elles chargent les employeurs des coûts liés à leur activité, les agences qui reportent sur les candidats à la migration les frais de leurs services se livrent de cette manière à des pratiques abusives. Le droit international prévoit par ailleurs que les travailleurs, dans leur pays, et dans leur langue maternelle, soient dûment informés des termes et des conditions de leur futur emploi et que leur contrat distingue clairement ce qui les lie à l'agence qui les recrute de ce qui les lie à leur futur employeur. Afin de protéger ces travailleurs, les normes internationales en vigueur prévoient que le contrat signé dans le pays de départ soit aussitôt contresigné par l'ambassade du pays d'accueil et envoyé à l'employeur. Dans le même esprit, les pays d'accueil et les pays d'origine sont tenus de conclure des accords bilatéraux ou multilatéraux de façon à bien gérer le processus migratoire et à combattre les pratiques abusives. Il leur incombe de réglementer les descriptifs des emplois, les processus de sélection et de recrutement, les contrats de travail, les conditions de voyage, les conditions d'emploi, les procédures de recours et de règlements des différends, la sécurité sociale, la protection des droits fondamentaux. A tous ces égards, les principes directeurs de l'OIT préconisent que les services publics de l'emploi des pays d'accueil et des pays d'origine jouent un rôle pratique d'encadrement et de veille dans le recrutement, le placement et l'emploi et que les agences privées soient réglementées et strictement contrôlées ( Convention 96 ). Supposons maintenant que les emplois en question n'existent pas, qu'ils n'existent que partiellement ou que les personnes sélectionnées soient traitées dans des conditions abusives et inhumaines ? L'hypothèse n'a rien d'abscons, les mafias de l'arnaque des migrants étant déjà célèbres en Asie, on peut très bien imaginer que le Maroc leur ait semblé attrayant avec sa jeunesse désoeuvrée, et ses réglementations à l'application très relative. Contre qui les victimes pourront-elles intenter des recours ? Le gouvernement marocain a-t-il pris le soin de s'informer sur l'agence en question et, plus généralement, sur les pratiques dégradantes, frauduleuses ou abusives des agences privées de recrutement pour la migration ? Qui indemnisera les victimes de ce qui pourrait fort n'être qu'un trafic à base de tromperie, d'abus et de violation des lois nationales et internationales? • Fadel Benhalima Consultant