Les conséquences de l'escroquerie des 80.000 faux emplois prennent de nouvelles proportions. Au risque de déborder le seul cadre de l'emploi. L'heure est aux comptes. L'affaire des faux 30.000, devenus 50.000, puis 80.000, puis zéro emplois, n'est pas inqualifiable. Il ne s'agit pas d'un cas de force majeure laquelle est par définition imprévisible, irrésistible et inévitable. Il s'agit d'un drame, monté autour d'un lamentable scénario avec unité de temps-six mois-unité de lieu –le territoire national et une clinique privée Dar Salam à Casablanca-unité d'action – le dépouillement de plusieurs dizaines de milliers de jeunes par ceux-là mêmes qui sont censés les protéger, la fameuse ANAPEC agissant sous couvert de l'autorité du ministère de l'Emploi. Ce drame est d'autant plus nauséabond et scandaleux qu'il fut, dès l'origine, prévisible, annoncé, et dénoncé. Les interventions de « Aujourd'hui le Maroc » et de ses équipes ont fait la preuve que le journalisme vertueux existe. Des experts se sont mobilisés, montrant que sens de la vérité et amour du pays savent se conjuguer. Des organisations syndicales internationales et marocaines ont officiellement mis en garde le ministère de l'Emploi. Rien n'y a fait. Pris au piége de l'escroquerie ou ils étaient tombés, le directeur général de l'ANAPEC et ses tuteurs se sont obstinés, incapables de la plus élémentaire autocritique grâce à laquelle, en faisant marche arrière, ils auraient fait montre de responsabilité, protégé notre jeunesse et épargné à notre pays une épreuve aussi ridicule que douloureuse. Mais non, ils ont préféré les postures arrogantes, la langue de bois, s'auto-érigeant en dépositaires ésotériques de l'intérêt national et martelant tantôt les menaces,tantôt les arguments d'autorité du genre « monsieur le directeur général de l'ANAPEC s'est rendu aux Emirats ou il a rencontré le prince untel et ou il a bien vérifié l'existence de l'agence Al Najat …. ». Maintenant l'heure est à la leçon. La première ; encore une fois, se rapporte à l'autorité de la loi qui a été outrageusement abusée. Et de bout en bout. Par les agences privées qui n'ont légalement aucune existence dans notre pays et qui furent les premières à tomber dans le panneau. Ces agences, à ce jour, continuent à faire n'importe quoi, sans cadre légal ni contrôle. On voit même fleurir à Casablanca des enseignes portant le drapeau canadien pour de prétendus bureaux de migration. La loi a également été violée par cette fameuse clinique qui s'est emparée du magot des consultations et des analyses de laboratoires externes en dehors de toute indication médicale. Et la perle revient à l'ANAPEC, détournée de sa mission originelle qui était, faut-il le rappeler, d'apporter aux entreprises une offre appropriée de compétences et qui est devenue une officine de sinécures pour les fils de notables et de clients d'un des partis au pouvoir. Cette agence a consacré quasiment toute l'année 2002 à faire remplir les fiches des malheureux candidats à l'émigration vers les bateaux-mirages. La deuxième leçon concerne la responsabilité politique que cette affaire engage. En Syrie, la tentative d'escroquerie de la société émiratie a coûté son siège au ministre de l'emploi. Qu'en sera-t-il ici ? Qui présentera sa démission ? Le directeur général de l'ANAPEC ? Son directeur de tutelle au ministère de l'emploi ? Le ministre ? Présenter sa démission est un acte responsable d'auto-sanction qui laisse à la hiérarchie le soin discrétionnaire de l'accepter ou non. A défaut d'auto- sanction, il existe la sanction tout court. Elle appartient au Premier ministre. Il peut, au minimum, publier un communiqué exprimant, à tout le moins, sa surprise, et peut-être, sa réprobation. On se souvient, il y'a quelques mois, que les services du Premier ministre s'étaient dotés d'une cellule chargée, dans un souci de transparence, de prendre en compte, et de répondre, aux questions posées par la presse. C'est l'occasion pour cette cellule de prouver son utilité. Troisième leçon, relative au bon usage du rôle de la presse. Plus que de simples réponses lorsqu'ils daignent les fournir, les pouvoirs publics en démocratie permettent à l'action du parquet de se déclencher par elle-même dès que les informations diffusées par la presse laissent entrevoir une présomption d'atteinte à la loi. Faut-il attendre que les conséquences de cette escroquerie prennent de nouvelles proportions pour que se mette en place… une simple commission d'enquête parlementaire ? Rétablir l'autorité de la loi, engager les responsabilités politiques à tous les niveaux, prendre les sanctions administratives proportionnées à la responsabilité des acteurs, serait une excellente façon de dire « plus jamais ça ! ». Et de restaurer l'autorité de l'Etat. • Fadel Benhalima Consultant