Derb Sultan, à Casablanca. Tout semble bouger dans ce quartier populaire, comme si l'on se préparait pour un Moussem. Il s'agit, en fait, de la célébration d'Achoura. Cette année, ça sera le samedi 18 janvier. Les sons des taarija et des bendirs envahissent les ruelles en signe d'accueil chaleureux de cette fête de l'enfance. Dans ce quartier populaire, on conserve toujours la tradition: «Lorsqu'il y a une fête, on est les premiers à la faire, et, pour le moment, il on célèbre Achoura. J'ai déjà acheté ce qu'il me faut pour la fête avec mes voisines», affirme Zakia, femme au foyer. Pour Zakia, ce «matériel» signifie les instruments de musique traditionnelle, surtout la taârija et le bendir qui rythment le chant des voisines qui se réunissent la nuit de Achoura. L'occasion est fêtée par les grands, mais aussi et surtout par les petits, qui l'accueillent une semaine à l'avance, au moins. «J'ai commencé mes préparatifs, depuis une semaine. J'ai acheté des jouets et des instruments de musique que j'utilise juste après la fin des cours. C'est un moment que j'adore, surtout quand je rejoints mes amis pour que l'on fasse le tour des ruelles avoisinantes», confie Ayoub, 13 ans. Si Ayoub a choisi de déambuler dans les ruelles pour jouer de ses instruments de musique, Nadia, quant à elle, a préféré se réunir avec ses copines pour jouer avec ses poupées : «Achoura est une occasion, pour moi, pour m'offrir du plaisir en jouant un petit peu avec mes copines. On se réunit devant la porte de notre maison, chacune avec ses jouets pour que l'on s'amuse ensemble. J'ai acheté une grande poupée et une cuisine miniaturisée, et ma meilleure copine a acheté une poupée avec son trousseau de maquillage». Au Maroc, comme dans plusieurs pays arabes, Achoura est considérée comme une fête pour l'enfance, où les parents essayent de rendre heureux leurs enfants en leur achetant des vêtements et des jouets. «Lors de cette fête, on ne doit pas voir un enfant pleurer, parce que c'est un mauvais signe. Achoura commémore la disparition du petit-fils du Prophète. Pour cela, je fais le maximum pour que ma fille soit heureuse et ne pleure pas», affirme Fatiha qui faisait ses achats à Derb Omar. Pour Achoura, on achète aussi des fruits secs et des friandises, qu'on appelle «Fakia», qui s'ajoutent aux jouets et aux vêtements. La tradition oblige, mais pour certains ces habitudes tendent à disparaître. Hajja R'kia, dont le visage n'a pas résisté aux séquelles du temps regrette cette tendance à l'oubli : «Malheureusement, on ne fête plus Achoura comme avant. Pour le moment, je me contente d'inviter mes enfants et mes petits-enfants autour d'un grand plat de couscous préparé avec du «Guedid» ou bien au tour d'un plat de «Mrouzia». Je me rappelle que quand j'étais petite, ma mère confectionnait elle-même. Elle m'invitait à habiller le balais et à le coiffer, parce que Achoura est aussi un jour de repos pour les femmes qui sont dispensées du ménage pendant cette journée. Ma mère me réveillait très tôt, et, avant de sortir faire notre Nzaha (balade), on ouvrait toutes les fenêtres et les placards pour laisser entrer la joie et la «baraka» dans notre maison». Haja Rkia tient, aujourd'hui, à inculquer cette tradition à sa petite fille. Ensuite, vient le moment de verser l'eau, le célèbre «Zam Zam». C'est une tradition très connue dans les quartiers populaires. Elle consiste à verser de l'eau sur les voisins, les amis et les passants. Zam Zam tire son nom du puits qui se trouve à La Mecque. Verser de l'eau sur les autres marque le lendemain d'Achoura. Les enfants utilisent des bouteilles, des ballons en plastique ou encore des pistolets à eau pour mouiller leur «proie». Au soir, les enfants allument du feu qu'on appelle «Chouâlla» et tournent autour d'elle. Et c'est là où ils allument leurs petits pétards pour célébrer Achoura. «Achoura signifiait, pour moi, le jour où je faisais exploser beaucoup de pétards que j'achetais de chez l'épicier du coin. Mais puisqu'on a interdit la commercialisation de ces pétards à cause du danger qu'ils représentent, je me contente d'allumer du feu et de taper sur mon Tamtam, en compagnie des jeunes du quartier», explique Youssef venu du quartier Bnou Nafiss pour partager des moments de joie avec ses amis à Derb Sultan. «J'habite dans un quartier chic de la ville, mes voisins ne se rappellent même pas de Achoura. C'est pour cela que je reviens ici pour me rappeler le beau temps», confie Youssef. L'âge de Youssef, 30ans, ne l'empêche pas de jouer et de fêter Achoura. C'est une façon, pour lui, de se relaxer et d'oublier le stress du quotidien, mais aussi pour conserver cette tradition qui a tendance à disparaître.