Achoura intervient en ce 10 Moharram 1432 correspondant au jeudi 16 décembre 2010. La période d'Achoura est marquée par les jouets importés, généralement en plastique et de Chine, ou de fabrication locale, poterie, céramique, instruments de percussion: taârija, bendir, derbouka qu'on voit depuis quelques jours dans les marchés et fabriqués dans les unités de poterie dans des villages des environs d'Azemmour, Safi et Marrakech. La vente qui bat son plein se poursuit ce week-end. Une aubaine annuelle pour les artisans potiers. Mais les intermédiaires saisonniers ratiboisent comme toujours. Sans oublier la concurrence des jouets chinois qui sont surtout de grands stocks futurs de déchets en plastique. Achoura, origine du mot de l'arabe « achara » en référence au dix Moharram. C'est la fête des enfants par excellence pour les jouets et de la famille avec l'achat des fruits secs, dattes, figues sèches, amandes, noix qui voient leur prix monter en flèche sous la pression de la demande. Tout est écoulé grâce à ces files d'acheteurs qui se bousculent devant les marchands de fruits secs généralement « Aâttar ». Un rituel qui se réédite chaque année à la même date. Souvent on n'achète pas beaucoup, deux cents cinquante à 500 grammes de chaque denrée. Ce n'est pas l'abondance, vu le nombre d'individus dans chaque foyer. Mais peu vaut mieux que rien. C'est laâwacher et il faut avoir chez soi des dattes, des figues sèches, des amandes, des noix, des cacahuètes, des qrachel. Même avec peu on se sent vivre. Encore une fête des pauvres dit-on mais beaucoup de bénéfice pour les marchands. L'entrée des fruits secs au foyer amène une rupture de la routine et crée une illusion d'abondance pour bons vivants sans moyens. Achoura c'est l'occasion de jeûnes de piété. On jeûne un à trois jours le 9, 10 et 11 Moharram, c'est facultatif, et ça fait partie de l'atmosphère religieuse qui entoure de son halo cette période. On se remémore ceux qui ne sont plus là et on voit ce qu'on peut faire autour de soi pour les vivants dans le besoin. Car durant les dix premiers jours de l'année de l'hégire on peut distribuer la Zakat obligatoire quand on est dans l'aisance. Une année vient de s'écouler, il faut faire le compte. Mais généralement dans les derb la solidarité désintéressée vient des pauvres pour les plus démunis. Jour de recueillement Achoura, la seule occasion de l'année où l'on se rappelle les morts de manière collective avec des pèlerinages massifs vers les cimetières, surtout le dix Muharram, ce vendredi, du matin au soir. Le jour d'Achoura les cimetières sont envahis par des foules immenses de pèlerins pour se recueillir sur les morts. Dans les cimetières il y a d'habitude relativement peu de monde sauf les vendredis, ou en cas de plusieurs enterrements simultanés, car les cimetières dans les grandes villes sont situés sur l'extrême périphérie nécessitant de longs déplacements. Ces lieux donc peu visités durant l'année s'animent soudain le jour de l'Achoura. Les moyens de transport divers, bus, charrettes, camions sont pris d'assaut. On dirait le jour du dernier jugement, yawmou lhachr. Certains, par peur des bousculades monstres du dix Moharram préfèrent venir la veille ou même avant pour s'acquitter du devoir et se recueillir sur la tombe d'un être cher. Les tombes oubliées pendant toute l'année retrouvent un regain d'intérêt, sont nettoyées des détritus et mauvaises herbes. Dans cette animation prennent part les commerces aux alentours spécifiques pour l'endroit. Ces vendeurs d'eau de rose, de figues sèches vident leurs stocks de piètre qualité qui ne trouveraient pas preneur à une autre époque de l'année et à un autre endroit. Mais Achoura c'est aussi une fête pour les vivants, fête de joie et de réjouissance, agapes avec repas copieux couscous de dyala, queue du mouton en gueddid ou rfissa de poulet selon les régions. C'est la fête conviviale en famille ou avec les voisins. Une occasion de se régaler. Feux de joie et eaux de Zemzem C'est aussi la fête des enfants dit-on, avec les jouets mais aussi une fête de transgression avec les pétards qui arrivent à traverser les mailles des douanes malgré les interdictions strictes depuis les attentats de Casablanca du 16 mai 2003. Granad, bouta, njoum, cigare, tayyara, que de noms donnés aux pétards vendus en particulier rue Strasbourg à Derb Omar à Casablanca, depuis quelques jours. Apparemment le produit très demandé est distribué au compte-gouttes car les prix sont exorbitants, entre 3,50 et 5 Dh pour l'article qui garantit une explosion-déflagration « satisfaisante » pour faire peur aux passants ou voisins pris de surprise avec parfois des accidents très graves pour des enfants. C'est surtout les feux de joie la veille du 10 Muharram pour lesquels on ramasse à tour de bras des déchets, en particulier de vieux pneus dans les villes. Plusieurs jours auparavant on cache précieusement ces pneus. Ils sont remisés quelque part, un lieu secret, en attendant le jour J. Voilà un énergique coup de balai pour les déchets oubliés par les éboueurs. Les feux de joie de Achoura la nuit du 9 au 10 Moharram servent à quelque chose! Un grand incinérateur de déchets à ciel ouvert. Il faut s'attendre toujours pendant la journée du dix Moharram à une douche froide, bien réelle, un seau d'eau sur la tête si on passe par une rue de quartier populaire où la tradition de Zemzem est toujours respectée au grand dam des passants imprudents. Des élèves vont un peu loin dans cette affaire en n'employant pas seulement l'eau mais d'autres produits, des œufs, pour faire sortir de leurs gonds des collégiennes ou des automobilistes de passage. D'aucuns prennent beaucoup de précaution pour ne pas être la cible des attaquants et risquer de faire les frais de la risée publique. Achoura c'est aussi des activités de sorcellerie des fkihs et chouwafat. Chacun ses soucis et chacun son gagne-pain. Il parait que c'est toujours la période la plus propice pour jeter des sorts à cause des démons qui seraient très serviables en cette période de l'année selon des croyances toujours en vogue chez des populations pas seulement parmi les analphabètes. Et pas uniquement de la gente féminine aux dires de quelques professionnels d'exorcisme généralement bien avertis sur la clientèle d'Achoura. C'est vrai qu'on a coutume d'imputer les actions de sorcellerie aux femmes. La fameuse charwita c'est le chiffon souillé par l'homme aimé ou haï qu'une femme à la suite de fumigations appropriées s'attire ou repousse selon son bon désir. Mais les fkih exorcistes qui fructifient leurs affaires dans le salmigondis du surnaturel et des djinns se défendent tous de tremper dans ce genre d'activités sataniques. Selon eux, ils ne font que la Rouquia chari'ya qui consiste à employer l'eau et la récitation des versets coraniques pour délivrer les possédés et s'attirer la paix, le bonheur et la chance. Et ce n'est pas le propre de la période d'Achoura. Mais Achoura ne serait plus vécue comme avant dans les nouveaux quartiers d'immeubles (à plus forte raison villas et immeubles haut standing ?) où les gens sont de plus en plus distants vis-à-vis du voisin, où il y a de plus en plus d'individualisme qui prime, où les hommes se réfugient dans les cafés enfumés pour fuir les clapiers exigus et voir les matches de foot tandis que les enfants tapent sur le ballon rond sur la chaussée faute de terrain. Il y aurait moins d'intimité et de partage dans les nouveaux derb pour vivre Achoura de manière conviviale. Toutefois, il existe encore d'autres quartiers, les vieux quartiers, les médinas où les traditions sont préservées. Ce seraient des îlots résurgents, des poches de résistance contre le rouleau compresseur de l'amnésie.