Aucun journal marocain ne dispose d'un système éditorial intégré comme il en existe partout dans le monde, y compris dans de nombreux pays du tiers monde. Pis, il est plus facile aujourd'hui de trouver un rédacteur moyen qu'un secrétaire de rédaction professionnel. Un chroniqueur bavard qu'un vrai correcteur. Un éditorialiste approximatif qu'un grand reporter. Un commentateur sur tout ce qui bouge qu'un chef d'enquête. Le cyber-magazine [email protected], animé par de jeunes confrères talentueux, nous a soumis au jeu des questions-réponses, auquel nous nous sommes prêtés avec beaucoup de plaisir. Nous vous livrons, ci-après, par gourmandise, le résultat de ses élucubrations si peu virtuelles. 1 - Vous êtes directeur de publication du quotidien “Aujourd'hui Le Maroc” (ALM) qui a pour slogan et philosophie « Aime la vérité mais pardonne à l'erreur », qu'est-ce que ça veut dire ? La recherche de la vérité dans notre profession nous conduit parfois à commettre des erreurs. La passion pour l'une nous fait souvent rencontrer l'autre, sans que l'on ait le temps de réaliser ce qui nous arrive. C'est pour cela que l'invocation à la Une d'ALM de cette parole de Voltaire, dont la liberté de pensée a fondé la pensée moderne universelle est comme une sorte de gri-gri. Personnellement, je regrette les erreurs que j'ai pu commettre au cours de ma carrière dans le feu de l'action, rassurez-vous, elles sont rares, mais je regrette plus encore celles pour lesquelles je n'ai pas pu demander pardon. C'est comme cela. 2 - Si on vous demandait de catégoriser professionnellement la presse écrite du Maroc au sein de la presse du tiers monde… Au Maroc, nous sommes grosso modo en train d'apprendre à écrire des journaux avec tout ce que cela représente sur le plan professionnel. Un vrai chantier. Mais nous ne savons pas encore les fabriquer. C'est un constat sérieux. Un exemple : aucun journal marocain ne dispose d'un système éditorial intégré comme il en existe partout dans le monde, y compris dans de nombreux pays du tiers monde. Pis, il est plus facile aujourd'hui de trouver un rédacteur moyen qu'un secrétaire de rédaction professionnel. Un chroniqueur bavard qu'un vrai correcteur. Un éditorialiste approximatif qu'un grand reporter. Un commentateur sur tout ce qui bouge qu'un chef d'enquête. Voyez-vous, nous ne sommes pas encore sortis de l'auberge. C'est pour cela que nous compensons nos handicaps techniques, de carence de lecteurs, de distribution sommaire par une liberté de ton peu justifiée professionnellement et une volonté de transgression qui fait du premier briseur de tabou amateur venu une référence journalistique souvent éphémère. 3 - Quelle position donneriez-vous à la presse marocaine ? (Vous avez entre 1 et 10) Quatre points suffiront largement. 4 - On remarque que vous avez un intérêt particulier pour la ville ocre, vous publiez même dans votre journal une “Lettre de Marrakech” une fois par semaine, pourquoi cet intérêt, est-ce la mode Marrakech ? L'intérêt pour la ville de Marrakech s'explique par le fait que c'est la plus belle ville du monde. La modernité marocaine s'y exprime d'une manière paisible et raffinée. Les valeurs que nous défendons en tant que pays ouvert aux autres, tolérant et partie prenante d'une modernité soucieuse des différences et des identités culturelles ainsi que de leur richesse sont déjà en œuvre à Marrakech. Que puis-je dire de plus ? Rien, sauf que cet amour d'une ville se fonde sur la capacité qu'a montrée celle-ci à sauvegarder son urbanité. Il faut que les gens de Marrakech prennent conscience de cela et le cultivent avec passion. 5 - Vous avez également déjà écrit dans un édito, à l'occasion du Festival du cinéma. «Tu es à Marrakech quand même. La capitale marocaine de l'humour». Pensez-vous que Marrakech garde toujours cet aspect-là ? Oui, plus qu'ailleurs. C'est un élément constitutif de l'identité de cette cité. Il faut toujours se méfier des gens qui ont de l'humour. Ils sont capables d'être heureux et de contaminer leurs semblables. On leur reprochera toujours cela. Mais ce qui nous sauve dans un pays où la gravité inutile, la propension au malheur surfait, et la fermeture automatique des visages sont des gages de sérieux, c'est que Marrakech nous donne un exemple probant de convivialité. L'autodérision est une forme supérieure de l'intelligence. L'humour aussi. 6 - Votre quotidien fait de temps à autre la Une des autres journaux marocains grâce à vos Unes très choquantes et fortes. Comment vous vous préparez pour lancer une affaire brûlante qui va forcement créer un fort débat ? Pour monter au front, il faut des biscuits. Une Une se travaille longtemps à l'avance. Il ne s'agit ni de brûler ni de choquer. Ce n'est pas notre métier. Il faut juste informer. C'est tout. Mais quand l'info est sensationnelle ou ressentie comme telle, c'est que l'enquête l'a été. Quant au débat, c'est une affaire de conviction et de valeurs. Nous roulons pour nos idées, qui sont connues, mais nous à la différence de certains, nous ne roulons personne. Les lecteurs nous connaissent et nous lisent pour cela. 7 - Plusieurs de nos lecteurs qui suivent également votre quotidien et surtout vos pages culturelles se posent des questions sur la “disparition” du journaliste Aziz Daki de cette page ? Ou est-t il ? Aziz Daki est désormais un journaliste rattaché au service politique du journal où il fait un excellent travail. Sa dernière interview du nouveau patron du PJD a fait le tour du monde. Que demande le bon peuple ? Le journal, à son corps défendant, et malgré tous les espoirs que j'ai mis personnellement dans Rissani, a décidé de revoir ses ambitions à la baisse dans ce domaine. C'est regrettable. Mais on ne pouvait pas continuer à animer une vie culturelle nationale chétive constituée de quatre pelés et de deux tondus qui, quand ils ne se détestent pas, se haïssent et quand ils ne s'insultent pas ils s'invectivent. “Quand on est invité à une noce de chiens on reçoit des coups de bâtons” dit le proverbe ! Nous, nous avons préféré quitter cette noce-là. Mais on continue à servir avec foi et enthousiasme les vrais créateurs dans ce pays, les vrais talents et tous ceux pour qui la création est un exercice essentiel d'abord d'humilité et peut être ensuite de reconnaissance. Le génie en la matière n'est pas d'occuper indûment les colonnes de la presse, mais de créer une œuvre parfois dans la solitude et l'incompréhension. 8 - Vous avez lancé un site Web de votre quotidien et vous êtes l'un des rares médias dans le pays qui publie presque l'intégralité du journal le jour même. Comment et pourquoi vous avez fait ce choix d'Internet ? Notre site est la continuité de l'édition papier. Nous offrons ce contenu aux Marocains de l'étranger et à tous ceux qui s'intéressent à ce pays. C'est un choix qui nous gratifie et qui consolide la notoriété du journal. 9 - Que pensez-vous du cyberjournalisme naissant dans le pays ? Le cyberjournalisme sera-t-il un moteur de bonne concurrence pour les autres médias du Royaume ? Dans cyber journalisme, il y a surtout journalisme. C'est le plus important. Le support est, certes, virtuel mais ni les lecteurs ni les journalistes ne le sont. C'est du journalisme à part entière. 10 - Un dernier mot à nos lecteurs et lectrices… Aimez-vous les uns les autres et soyez heureux. Nous allons y arriver. Il nous faut juste un peu de modestie, d'humour et de compassion. Amen. • Propos recueillis par Tarik Essaâdi