Plusieurs villes chiites irakiennes sont en état d'insurrection, 24 heures avant le premier anniversaire de la chute du régime de Saddam Hussein. Le camp de Bush est en proie au doute. Alors que le Pentagone reconnaît publiquement la gravité de la situation en Irak, le gouvernement intérimaire mis en place par la coalition prend un sérieux coup. Le ministre de l'Intérieur, Nouri Badrane, ancien ambassadeur en Russie, qui a rejoint les opposants au régime de Saddam Hussein en 1990, a démissionné, expliquant son geste par une brouille avec un Paul Breemer, mécontent de la tournure des événements. Cette démission intervient quelques heures avant que la milice radicale chiite du jeune imam Moqtada Al-Sadr affirme avoir pris le contrôle d'au moins deux villes au sud de l'Irak. Les combats entre miliciens et armée américaine font rage depuis lundi, quand un juge irakien a lancé un mandat d'arrêt contre Moqtada Sadr, accusé «d'incitation au meurtre» dans l'affaire de l'assassinat, en avril 2003, du dignitaire chiite, Abdel Majid Al Khoi et deux de ses compagnons à Nadjaf. L'armée de Moktada al Sadr a attaqué plusieurs positions polonaises et bulgares à Kerbala, dans la nuit du mercredi à jeudi. Les forces polonaises auraient tué le représentant de Sadr dans cette ville d'après la police irakienne. Mercredi dernier, les militaires ukrainiens ont été contraints d'abandonner leur base à Kout. De source non américaine, la ville de Koufa serait aussi tombée aux mains des miliciens qui ont pris position dans les bâtiments publics et les postes de police. Par ailleurs, les troupes japonaises déployées à Samawa, une ville chiite du sud de l'Irak ont «provisoirement» arrêté leurs opérations de reconstruction «en raison de la dégradation de la sécurité ». Peu habitués au théâtre des conflits, les carabiniers italiens ont décidé, jeudi, de confier le maintien de l'ordre à la sécurité irakienne à Nassiriya. Le général Ricardo Sanchez, visage fatigué, a reconnu, du bout des lèvres, que l'Armée du Mahdi contrôlait entièrement la ville de Kut et partiellement celle de Nadjaf. Le commandement américain a aussi finit par admettre ce qu'il redoutait le plus : des liens, même si c'est «aux niveaux les plus bas», entre la milice chiite et les insurgés sunnites. A Fallujah, ville bouclée par les Américains, les correspondants occidentaux font état des centaines de morts. Plus de 300 Irakiens auraient péri depuis le début de l'assaut des forces américaines lancé lundi dernier. Des milliers de personnes ont quitté jeudi Bagdad à pied et en voitures, avec vivres et médicaments, pour apporter un soutien humanitaire à cette localité de 200 000 habitants situés 60 kilomètres plus loin. L'«Associated Press» fait état de plusieurs cadavres jonchant les rues de Fallujah, «une image qui rappelle celle de Vietnam», selon un médecin de l'armée US qui déclare en outre que la résistance est plus forte maintenant que durant l'invasion de l'Irak. Les Marines ont seulement progressé de deux kilomètres en deux jours. Dans ce qui est l'un des plus grands déploiements depuis le début de la guerre, il y a un an, les Américains sont appuyés par des chars et des avions F-16. Le Commandement américain refuse de donner des bilans, ni de confirmer le fait que 75% de la ville est aux mains de la résistance sunnite. Au total, 35 Américains et au moins 459 Irakiens sont morts dans les violences enregistrées cette semaine. Scénario imaginable il y a un an, le 9 avril 2003, quand les forces américaines prenaient pied à Bagdad, entraînant l'effondrement du régime de Saddam Hussein. George Bush pensait alors que le plus dur était fait, en déclarant, un mois plus tard, la fin officielle de la guerre. Les événements ont vite repris le dessus. Donald Ramsfield, le secrétaire d'Etat à la défense, n'écarte plus la possibilité de l'envoi de troupes supplémentaires pour appuyer les 135 000 soldats stationnés en Irak. Les violences meurtrières peuvent justifier la prolongation de la présence militaire sur place. L'insurrection en Irak, à quelques encablures des élections présidentielles de novembre, n'arrange pas le camp républicain. Le candidat démocrate, John Kerry, a qualifié de «bourbier», l'occupation américaine et estimé qu'il serait temps que le président reconnaisse ses difficultés devant le monde entier. En attendant, comme l'a affirmé lundi Ted Kennedi, sénateur démocrate de gauche, l'Irak est devenu le nouveau Vietnam. L'Amérique avait déployé 500 000 soldats dans ce dernier pays et perdu 58 000 hommes quand elle s'est retirée en 1973. Le contingent américain en Irak fait état de 600 morts jusqu'à présent. Signe que la nervosité gagne le rang des marines, le bombardement mercredi d'une mosquée de Fallujah, en parfaite infraction des conventions de Genève sur la protection des édifices religieux. Croyant y avoir tué une quarantaine de rebelles, les GI'S qui utilisaient des bombes téléguidées au laser, n'y ont découvert finalement aucun corps. L'ancien chef des inspecteurs de l'ONU en Irak qui vient de publier un livre-réquisitoire, «les armes introuvables», Hans Blix, a déclaré dans un entretien accordé à un journal français, que « la majorité des Irakiens sont certainement contents d'être débarrassés de Saddam Hussein, mais ils sont tous contre l'occupation américaine de leur pays, ressentie comme une humiliation». Une dualité peu prise en compte par la coalition, dont les stratèges misaient tous sur un soutien populaire inconditionnel du peuple irakien.