Le domaine public devient facilement un domaine privé en toute légalité. C'est en gros la conclusion du ministère de l'équipement, du transport et de la logistique qui s'apprête à modifier la loi de 1918 sur l'occupation provisoire du domaine public. Mais ces autorisations n'ont de provisoire que le nom selon la tutelle. De nombreux biens de l'Etat mis à la disposition de personnes physiques ou morales à titre provisoire finissement par devenir de véritables propriétés privées parfois en toute légalité. Comment? Le département de Aziz Rabbah, le ministre de l'équipement, du transport et de la logistique, dépeint le tableau d'un secteur où l'anarchie et le laisser-aller sont les maîtres mots. «Cette situation a conduit à une véritable privatisation de nombreux biens publics, devenus des lotissements résidentiels interdits d'accès aux citoyens sachant que les biens ne sont occupés qu'une période limitée au cours de l'année ou sont mis à la location à des tarifs dépassant des dizaines de fois les sommes payées au Trésor public», disent les responsables du ministère. Ces derniers pensent que la situation est d'autant plus grave que les autorisations provisoires finissent par devenir définitives. «Ces autorisations sont automatiquement reconduites dès l'expiration de la durée initiale, ce qui transforme l'exploitation provisoire en une véritable cession des biens de l'Etat en contrepartie de sommes annuelles modiques», ajoutent-ils. Pire encore, les loyers ne sont pas perçus toujours dans les délais et selon les méthodes requises. L'occupation du bien public devient dès lors gratuite. Revers de la médaille C'est pour cette raison que le Conseil de gouvernement vient d'adopter un nouveau projet de loi relatif à l'occupation provisoire du domaine public. Un texte qui va mieux règlementer les procédures d'octroi et surtout protéger les biens publics. Mais ce n'est pas toujours l'Etat qui est le grand perdant. Le gouvernement reconnaît, en effet, que certaines autorisations, vu leur caractère provisoire, sont retirées par les pouvoirs publics à tout moment. Ceci peut causer un préjudice au bénéficiaire, notamment les entreprises qui peuvent engager des investissements importants sur place. En effet, la tutelle explique que le dahir du 30 novembre 1918 ne prévoit pas des garanties légales suffisantes pour les bénéficiaires d'autorisation provisoire du domaine public. «Les autorisations sont valables pour une durée maximum de 10 ans renouvelable une seule fois à titre exceptionnel. Cette durée ne permet pas malgré tout de couvrir les délais nécessaires pour l'investissement», précise la tutelle. Et de poursuivre: «Dans les cas où ces autorisations sont retirées avant leur expiration, les investisseurs ne sont pas dédommagés. Le projet de loi prévoit la possibilité d'indemnisations pour les concernés sur la base du préjudicie généré par le retrait des autorisations». Distinction Le projet de loi adopté en Conseil de gouvernement vise à installer une distinction entre les autorisations d'occupation du domaine public pour l'investissement et les autorisations pour des raisons plus personnelles comme la construction d'habitat. Il existe, en effet, un certain flou juridique concernant les procédures d'octroi des autorisations. Ces procédures ne se basent pas sur des normes objectives ni pour les motifs de l'autorisation, ni pour la durée, ni pour l'activité objet de l'autorisation. «Si le large pouvoir décisionnaire accordé par la loi à la tutelle chargée de la gestion des biens et du domaine publics est tout à fait normal lorsqu'il s'agit d'autoriser l'installation de projets touristiques ou économiques vu l'impact positif sur l'emploi et le développement économique, la situation est totalement différente lorsqu'il s'agit d'autoriser la construction d'un habitat individuel qui profite au seul bénéficiaire», précise le ministère de l'équipement, du transport et de la logistique. Litige L'occupation d'un domaine public donne parfois place à des litiges entre les occupants et les pouvoirs publics. Ce fut le cas ces deux dernières années pour les cabanons de Zenata. En effet, la Caisse de dépôt et de gestion (CDG), chargée de la construction de la ville nouvelle de Zenata, a dû faire face à des difficultés liées à l'expropriation de certains cabanons construits sur le littoral de Zenata. Mais selon la CDG, «les cabanons du territoire de Zenata sont normalement en occupation temporaire autorisant uniquement une occupation diurne, en période estivale pour des structures amovibles et cela sur un terrain appartenant au domaine privé de l'Etat». Les procédures engagées ont été alors menées conformément à la loi 7-81 relative à l'expropriation, la prise de possession du bâti et le transfert du bâti. Une indemnisation avait été décidée par la Commission administrative d'évaluation en faveur des occupants.