L'artiste-peintre Chaïbia Tallal est décédée à l'âge de 75 ans, vendredi soir à Casablanca, des suites d'une crise cardiaque. C'était l'artiste marocaine la plus célèbre à l'étranger. Son fils Houcine Tallal nous en rapproche. “C'est un monument qui disparaît“. Houcine Tallal s'exprime ainsi sur la mort de sa mère. D'emblée, il met sur un piédestal l'artiste disparue, et n'évoque pas la filiation parentale. “J'étais toujours émerveillé de constater que Chaïbia était la seule artiste vivant lors des enchères où ses tableaux étaient adjugés aux côtés de ceux de Delaunay ou de Modigliani“, ajoute-t-il. Chaïbia est le peintre marocain le mieux représenté dans les musées et fondations d'Europe, d'Amérique et même du Japon. Tallal ne s'attarde pas sur l'internationalisation de l'art de Chaïbia. La voix rendue inaudible par des sanglots qu'il essaie de retenir, Houcine Tallal rappelle la grande exposition de Chaïbia du mois de février à la galerie Bab Rouah de Rabat. Lors de cette manifestation, 70 tableaux inédits ont été montrés. “C'était l'adieu de ma mère au pays qu'elle a tant aimé“, commente Tallal avant d'éclater en sanglots. Dans le milieu des peintres, le rapport de Houcine Tallal à sa mère n'est un secret pour personne. Il l'aime d'une façon exclusive, passionnée. Son moi de peintre, d'artiste, Tallal l'a jugulé pour se dévouer avec une abnégation, jamais tempérée, à l'art de sa mère. Fils unique de Chaïbia, Tallal a été à l'origine de l'émergence de la vocation de Chaïbia pour la peinture. Tout le monde connaît l'histoire de Chaïbia avec la peinture. Elle plaît aussi bien aux âmes friandes de sensationnalisme qu'aux personnes sceptiques qui la rappellent pour souligner le cortège folklorique qui accompagne la peinture de l'intéressée. En 1963, Chaïbia rêve d'une voix qui lui adjoint de prendre des pinceaux pour réaliser un tableau. A son réveil, elle peint une toile qui étonne par son équilibre et sa vitalité le critique d'art Pierre Gaudibert et les peintres Ahmed Cherkaoui et André Elbaz. Les gens rappellent cette histoire sans s'interroger sur l'à-propos du rêve. Si Chaïbia n'était pas la mère d'un peintre, aurait-elle fait ce rêve? Si elle n'avait pas trouvé le lendemain à portée de mains des tubes de peinture et des ponceaux, aurait-elle obéi à la voix ? Si son fils Tallal n'était pas dans le voisinage immédiat de Gaudibert, d'Elbaz et de Cherkaoui, aurait-elle été encouragée et soutenue dans cette voie? Ces questions ont été précieusement tues par les personnes qui ont coiffé par l'étiquette “naïf“ l'art de Chaïbia. Comme si tout artiste autodidacte pouvait être naïf ! Le peintre Francis Bacon est autodidacte, est-il pour autant naïf ? A l'étranger, les œuvres de Chaïbia rayonnent parmi les plus grands. Elle a participé au mois de janvier à une exposition à Vichy (France) à laquelle participaient les peintres Pablo Picasso, Pierre Alechinsky, Jean-Hélion, le douanier Rousseau et Claude Villat. Au-delà de l'émotion que suscite la mort de Chaïbia, il n'est pas excessif de dire que son art est aussi valable que celui des artistes qui ont exposé avec elle à Vichy. Il est urgent de réfléchir à le préserver en pensant à la création d'une fondation où seront rassemblées les œuvres de Chaïbia. Son fils est très favorable à cette idée. Il est également urgent que les amateurs d'art ne se précipitent pas sur l'achat des tableaux de Chaïbia. On sait que les faiseurs de faux fleurissent dans les occasions mortuaires. Des experts existent pour préserver la touche de Chaïbia, en authentifiant ses tableaux.