Ulcérés par l'indifférence croissante des pouvoirs publics face aux dégradations multiples que connaissent les lacs et les plans d'eau et des oueds à truites de la région et face au déclin de la pêche sportive, de nombreux truiteurs de la province d'Ifrane montent au créneau et tirent la sonnette d'alarme. Et pour cause. Basé à Azrou, le CNHP (Centre National d'Hydrobiologie et de Pisciculture) relevant du Haut Commissariat aux Eaux et Forêts et gestionnaire de la pêche et pisciculture dans les eaux douces au Maroc, vient encore une fois de se faire taper sur les doigts à cause de la trajectoire dangereuse que prend la situation des milieux aquatiques de la région. Pour une fois, le coup de règle ne vient pas de la hiérarchie administrative mais de son «partenaire relais» sic, les associations œuvrant dans le domaine de la pêche sportive. Durant cette année, déjà, des scientifiques relayés par de nombreuses inspections ont piqué un coup de sang à cause de l'état des lieux de ces écosystèmes aquatiques et de nombreux projets restés sur papiers (école de pêche, aménagements divers). Surtout en constatant que «rien n'a changé », ce qui a valu à des responsables de se faire remonter les bretelles,deux ans plutôt à l'occasion de la visite Royale à la station piscicole de Ras El Ma (5 km d'Azrou) en avril 2008. Bis Repetita avec, fait nouveau, les pêcheurs eux-mêmes réputés pourtant calmes, résignés et des fois indexés pour leurs « amitiés complices », qui depuis ont rangé dans leurs paniers moulinets, wadders et hameçons pour sortir stylos et papiers afin d'adresser requêtes interpellant au passage les responsables de l'administration des Eaux et Forêts, en premier lieu le Docteur El Hafi, le Haut Commissaire aux E et F dont l'ordonnance est attendue au tournant. Si on excepte un bilan mi-figue, mi-raisin au niveau de la pêche sur les oueds à salmonidés, grâce notamment à la contribution des associations locales notamment dans le suivi et le contrôle des déversements des truitelles dans différentes rivières de la région, la pêche dans les lacs naturels et dans les plans d'eau à permis spéciaux, serait, selon les fervents défenseurs de cette éco discipline a été une véritable mascarade sur toute la ligne. Des étendues de désolation « La situation s'est davantage dégradée », dénonce un adhèrent de l'association de pêche sportive et d'environnement qui peut être considérée comme le chef de file de cette contestation. Les griefs des truiteurs de l'Atlas sont multiples et se nourrissent surtout des dysfonctionnements constatés ces dernières années dans la gestion du CNHP. On y apprend ainsi que la majorité des lacs naturels et les plans d'eau spéciaux à truites sont, selon nos interlocuteurs, sinon fermés du moins impraticables à la pêche sportive. Hier considérés comme des écrins verts de tendre joliesse et réputés comme des fleurons nationaux et incontournables pour la pêche des carnassiers nobles : truites, brochets, sandres, perches, ‘'et c?tera'' …Des lacs comme Dayt Aoua, Ouiwane, Tifounassine entre autres , faute d'entretiens et d'aménagements adéquats (d'aucuns s'interrogent d'ailleurs sur l'utilité et le sort des faucardeurs payés à coups de millions), sont devenus tristement célèbres pour la négligence dont ils font l'objet : délaissées, ils sont transformés en de véritables étendues de désolation, « eutrophisés» et envahis par les herbiers invasifs mettant en péril et hypothéquant, selon des experts en la matière, la survie des poissons s'ils ne sont pas déjà disparus comme c'est le cas pour le Sandre, un magnifique poisson introduit au Maroc au début des années 50 et dont la pérennité est sérieusement menacée en l'absence d'initiative pour sa préservation. Tel un poisson mort, la colère des pêcheurs monte à la surface à chaque fois qu'on évoque avec eux la situation des plans d'eaux à permis spéciaux dont les premiers comme ceux de Amghass situés quelques kilomètres d'Azrou ont été créés aux débuts des années 50. Un demi siècle après, ces plans considérés comme « une issue de secours pour promouvoir et assurer la pratique de la pêche sportive à la truite sur toute l'année », se souvient non sans amertume un retraité d'Ifrane, sont aujourd'hui une source de frustration et des exemples terribles et des constats sans fards d'un laisser-aller condamnable, écologiquement inacceptable. Hormis les plans d'eau Amghass II et celui de Hachlaf, tous les autres importants plans d'eau au nombre de 9 à la province d'Ifrane sont tous simplement fermés à la pêche sportive. Le cas de Ain Marsa est révélateur de la situation. Créé en 1969 aux limites d'une chênaie verte entre Ifrane et Immouzzer, cette pièce d'eau s'est transformée en un terrain de football après avoir été une fierté locale très prisée pour l'organisation des concours de la pêche à la truite. Le braconnage, la pullulation incontrôlée d'espèces envahissante au détriment de celles endémiques comme la truite fario, la prolifération alarmante des végétations aquatiques comme le typha, nénuphar, l'apparition de maladies infectieuses de la truite comme l'argulus, s'inscrivent aussi au fronton dans l'appel au secours lancé par les militants associatifs locaux. Ajouté au braconnage notamment des poissons carnassiers et de l'écrevisse à pattes rouges en voie de disparition et qui continue à faire le bonheur des culinaires des hôtels de luxe à Marrakech et ailleurs, il faut dire qu'au regard de la mission du CNHP (nous y consacrerons notre prochain article), ce dernier donne l'impression de noyer le poisson. Dit autrement, la situation décrite par les pêcheurs de la province d'Ifrane est symptomatique d'un drame écologique qui ne dit pas son nom et qui impose l'urgence de la réaction. En tous cas, ces pêcheurs sont décidés à ne plus mordre au leurre. Côté responsables, ils sont muets comme des poissons. En attendant…