Dans les grandes agglomérations, on a l'impression qu'il y a deux «Ramadan». Le premier s'étend de l'aube jusqu'à la rupture du jeûne et le second commence une heure après le «F'tour» et ne se termine que tard dans la nuit. Comment ? Durant ce mois de recueillement où la piété atteint son paroxysme, la journée est marquée par une atmosphère particulière. Un horaire continu est appliqué dans les administrations publiques, les collectivités locales et les entreprises privées. Plusieurs activités liées au mois font leur apparition (baghrir, harcha, msemen et autres). L'informel devient très encombrant. Des restaurateurs adaptent leurs menus au besoin du mois, surtout le F'tour. Les mendiants deviennent de plus en plus nombreux dans les parages des mosquées, des pâtisseries, des boulangeries, des places des taxis et des arrêts de bus entre 16 heures et dix-neuf heures. La circulation devient encombrée sur les principaux axes des villes à l'approche de la rupture du jeûne. Un autre phénomène fait son apparition durant la journée. «Tramdin». Il y a des jeûneurs qui souffrent le martyre et rencontrent énormément de difficultés pour s'en sortir. Il y a notamment des fumeurs, des alcooliques, des diabétiques et bien d'autres qui sont atteints de certaines maladies. Ces personnes s'énervent facilement et se manifestent violement après une discussion qui ne les arrange pas. On dit en dialecte marocain que ces jeûneurs sont «mramdnines», «Tramdin». Au niveau des administrations, un «mramden» est repérable de loin. S'il est responsable, il devient tyrannique avec ses subordonnés qu'il traite d'une façon inhumaine. S'il est subalterne, il devient improductif durant tout le mois. Juste après le F'tour, une autre effervescence impressionnante anime les différentes zones des grandes villes. On a l'impression qu'il s'agit de l'autre côté du Ramadan. Des soirées ramadaniennes plus chaudes jusqu'à l'aube dans plusieurs espaces. Les terrasses des cafés sont archicombles. Certains s'y rendent pour siroter un café, prendre un pot avec les amis ou tout simplement suivre les «histoires» et les scènes qui se passent entre ceux qui font le va et le vient sur les trottoirs. Le narguilé (chicha) devient le produit qui attire plus de clientèle durant les nuits du Ramadan. Cette chicha semble faire le bonheur de certains cafetiers durant ce mois. Dans certains espaces, les choses frôlent l'interdit pour ne pas dire qu'elles plongent carrément dans l'interdit. De même, durant ces longues nuits ramadaniennes, les jeux du hasard battent leur plein. Il faut voir les parieurs à l'œuvre. Dans certains cafés, on organise des jeux de cartes avec mise d'argent et dans d'autres, on trouve des formules spéciales de jeux. Le nombre des «turfistes» connaît également une recrudescence à l'occasion. Les flambeurs se bousculent au portillon pour parier aux différentes courses hippiques. Ils parient beaucoup, toujours et sans relâche avec en tête ce rêve tenace de remporter la mise, oublier les problèmes matériaux et enterrer définitivement la misère. Après la rupture du jeûne, il y a aussi ceux et celles qui prennent le chemin des mosquées pour accomplir les prières des tarawihs. La mosquée où l'imam Kzabri dirige ces prières, en l'occurrence la grande Mosquée Hassan II, fait le plein en raison de sa façon de psalmodie du Coran. La vie nocturne durant ce mois n'a rien à voir avec celle de toute l'année. Les citoyens, jeunes et moins jeunes, veillent la nuit et certains d'entre eux ne rentrent chez eux qu'à une heure tardive, ils n'ont devant eux que le temps de prendre le dernier repas (S'hour) avant que le muezzin n'annonce la prière du «Fajr». Il faut dire que les programmes s'accommodent, d'une manière ou d'une autre, avec les exigences du mois de ramadan qui exige tout un budget particulier.