L'écriture de l'histoire contemporaine des relations entre le Maroc et l'Espagne est, curieusement, l'œuvre des médias particulièrement espagnols. Héritant les usages de la presse «africaniste» dite hispano-marocaine qui avait fait fortune de 1860 jusqu'á la fin de la colonisation du Nord du Maroc, en 1956. Les médias espagnols excellent, à chaque éclat de tension entre les gouvernements des deux pays, dans l'analyse approfondi de l'ensemble des relations bilatérales, privilégiant particulièrement la critique des institutions marocaines. C'est la même tactique appliquée aux récentes brumes qui venaient de planer sur les rapports entre les sociétés civiles. Bien que les incidents entre forces de l'ordre espagnoles et citoyens marocains dans la ville occupée de Melilla soient de faible tension, la presse espagnole s'est empressée de leur attribuer une dimension politique. Pour ce faire, elle a inconsciemment frôlé l'offense et agi en bons messagers des courants conservateurs hostiles aux intérêts du Maroc. Trois jours après la visite du ministre de l'Intérieur, Alferdo Pérez Rubalcaba, au Maroc où il a eu l'honneur d'être reçu en audience par SM le roi Mohamed VI, certains médias et dirigeants de la droite n'ont pas encore admis, mercredi, que finalement la sagesse et la pondération ont permis de sauver d'un nouveau dérapage les relations bilatérales. Outre la circonspection dont a fait preuve le Maroc, M. Rubalcaba s'est déclaré «honoré » (dans le texte) d'avoir eu le privilège d'être reçu en audience par le souverain et a assuré que la page des incidents de Melilla est bel et «bien tournée». En analysant les déclarations du responsable espagnol, il ressort clairement une énorme satisfaction du bilan, établit à froid, de sa visite au Maroc. Dans un éditorial qui a pour titre «solution opaque», le quotidien connu pour ses positions prosocialistes, ne paraît guère convaincu des démarches entreprises pour que les relations bilatérales reprennent leur cours normal. Selon l'éditorialiste de ce quotidien, les ministres de l'Intérieur de l'Espagne et du Maroc ont eu des conversations dont « on connaît à peine le contenu » pour «résoudre une situation de tension en relation avec la frontière de Melilla dont on ne connaît pas non plus la cause ». L'éditorialiste d'EL PAIS se demande pourquoi le gouvernement de Madrid n'a pas, jusqu'à présent, réagi publiquement aux «cinq communiqués de presse» diffusés par le gouvernement marocain au sujet des incidents de Melilla. Il reconnaît cependant qu'il existe réellement des “questions très graves” qui interpellent les deux parties et leur impose d'élaborer un modèle de relations «stables» qui soient à l'abri de «l'improvisation». Il s'agit, explique l'éditorial, de «s'engager á aborder (séparément) la solution de chaque contentieux qui surgit dans son propre cadre pour que ne soit affecté l'ensemble des relations». Désormais, selon El Pais, Melilla est une partie intégrante de « l'agenda bilatéral» à cause de la visite de José Maria Aznar. «C'est le prix à payer pour des gestes de cette nature», note-t-il. Revenant au « modèle » proposé des relations bilatérales, El Pais suggère que celles-ci doivent « être stables et prévisibles de manière à ce que toute solution soit trouvée de manière rapide et transparente et ne soit plus exposée aux inévitables contentieux qui surgissent entre pays voisins dont les intérêts convergent dans certains domaines». ABC, le chantre des conservateurs espagnols, est le journal qui a consacré le plus d'espaces rédactionnels aux relations maroco-espagnoles. Dans un commentaire, ce quotidien affirme avoir «l'impression que l'Espagne a dû présenter des excuses au voisin du sud» et admet en même temps que «tout ce qui touche les relations avec le Maroc est source de polémique et de permanentes suspicions». Pour cette raison, «nous n'avons jamais rencontré la solution qui permette le développement d'un bon voisinage». Aussi bien le gouvernement conservateur de Jose Maria Aznar que celui des socialistes, actuellement au pouvoir, n'ont pas réussi à conduire ces relations dans les sentiers de la stabilité, observe ce journal. D'ailleurs, les deux grands partis du pays (socialiste et populaire) «ne cessent de s'accuser mutuellement de déloyauté» à chaque fois que surgit un incident dans les relations maroco-espagnoles. Fidèle à sa traditionnelle ligne éditoriale, ABC rejette, dans ce contexte, la responsabilité de la récente crise sur le Maroc pour la simple raison que le royaume a une monarchie et un système politique différents á ceux de l'Espagne. Et de poursuivre « ce qui est certain, les eaux se sont désormais calmées» après que le roi Juan Carlos 1er d'abord, et le ministre Rublacaba ensuite eurent «présenté leurs excuses» au roi du Maroc au sujet des incidents survenus au poste frontalier de Melilla, admet ABC. Dans un commentaire intitulé “Le Maroc gagne le round de Melilla”, le même journal prétend d'autre part que les forces de l'ordre et de surveillance des frontières marocaines ferment les yeux sur les mouvements de clandestins de subsahariens. Récusant les affirmations de M. Rubalcaba qui s'est félicité, lundi dernier, de la « qualité exceptionnelle » de la coopération entre Rabat et Madrid. ABC s'en prend encore une fois au Maroc l'accusant d'avoir encouragé les sans papiers subsahariens à embarquer clandestinement à destination de Melilla lors des récents incidents. Au niveau institutionnel, le président de l'Assemblée locale de Melilla, Juan José Imbroda, s'est érigé en front tireur du Parti Populaire dans la récente tension entre le Maroc et l'Espagne en défendant d'abord les raisons qui expliquent la visite de José Maria Aznar à la ville occupée. Il a ensuite remis en cause les résultats de la dernière visite de Rubalcaba au Maroc. Il a choisi les micros d'une station radio de grande audience, Onda Cero, pour donner libre court á son discours conservateur à propos du contentieux territorial entre les deux pays. Le Maroc « a gagné la bataille politique » à la suite des incidents survenus au poste frontalier de la ville occupée de Melilla, a indiqué M. Imbroda dont les propos ont été largement repris par le reste des média espagnols. Il a cependant reconnu que la situation est « calme » et « la ville suit son cours normal”, estimant qu'en cas de blocus à décréter contre les marchandises à destination de la ville occupée, le « Maroc sera le plus touché par les conséquences » de cette mesure. Ce genre de déclaration étonne surtout que lundi dernier, M. Imbroda s'était montré enthousiaste et « favorable » à tout dialogue entre le gouvernement espagnol et son homologue marocain. Conscient du moment délicat que traversaient les relations bilatérales, il s'était déclaré « ami du Maroc » et favorable à la visite de M. Rubalcaba à Rabat. Pr ailleurs, dans une interview à la station radio Cadena Ser, le ministre espagnol de l'Intérieur a prôné, par contre, un discours mesuré, pondéré et calme pour défendre les résultats de ses conversations avec son homologue marocain et sa visite à Rabat. Il a affirmé qu'il avait préféré «aller à Rabat», et non pas à Melilla, pour trouver une solution aux incidents à la frontière de la ville occupée. Il s'en est pris au Parti Populaire qui préfère « mettre les battons dans les roues du gouvernement » et privilégier des relations de confrontation avec le Maroc. « Nous avons fait ce que nous devions faire et la preuve est que cet incident a été résolu dans de bons termes. Nous pouvons assurer que nous avons aujourd'hui des relations de coopération meilleures que celles d'il y a un mois » avec le Maroc, a soutenu M. Rubalcaba. Pour cela, il a qualifié la dernière visite de Jose Maria Aznar à Melilla, de geste «inapproprié » et d'acte «totalement inutile ». La même attitude est exprimée lors d'une conférence de presse a Las Palmas par le secrétaire de Politique Institutionnelle du Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE - au pouvoir), M. Gaspar Zarrias, qui a affirmé que « la visite de M. Rubalcaba à Rabat a contribué à la solution » des malentendus entre le Maroc et l'Espagne à propos des incidents de Melilla. D'ailleurs, a-t-il soutenu, les deux pays entretiennent des relations de voisinage « bonnes, normales et cordiales » et qu'ils ont « en commun de nombreux thèmes à traiter ». Par contre, la visite qu'avait effectuée Aznar á Melilla est « un comportement maladroit de la part de personnes qui avaient assumé par le passé des hautes responsabilités gouvernementales». Il s'est d'autre part félicité de la collaboration bilatérale en matière de lutte contre les mafias de trafic d'êtres humains dans le Détroit de Gibraltar, « une collaboration qui va croître, a-t-il rappelé, à travers l'établissement de deux commissariats de police à usage conjoint à Tanger et Algesiras ». Il a tenu à mettre en garde contre « les positions de conflit » qu'adopte le Parti Populaire visant à « exacerber les sentiments d'animosité” entre les deux parties.