Par Jamal Eddine Naji Le 11 Mai, la Tunisie et le reste du monde assistent, en direct sur une chaine de télévision française, à la violation, à Tunis, du siège de la Maison de l'Ordre des avocats par des policiers encagoulés qui arrêtèrent de force l'avocate et chroniqueuse Sonia Dahmani. Celle-ci est bien connue pour ses dénonciations publiques d'« une augmentation de l'utilisation d'une rhétorique déshumanisante et raciste à l'encontre des migrants noirs et des Tunisiens noirs »... Deux autres chroniqueurs critiques, Borhen Bssais et Mourad Zeghidi, ont été interpellés le même soir. Ainsi qu'un autre avocat, Mehdi Zagrouba, et la militante antiraciste Saadia Mosbah. Et, selon le syndicat des journalistes tunisiens, plus de 60 personnes sont poursuivies en vertu d'un décret censé punir la diffusion de « fausses nouvelles », mais qui est très critiqué pour l'interprétation élargie qu'en font les tribunaux. Alors qu'une quarantaine de personnalités, dont au moins huit figures de l'opposition au Président (pas que du Parti « Ennahda »), d'anciens ministres et des hommes d'affaires, sont en détention, pour certains depuis février 2023, dans le cadre d'une enquête pour « complot contre la sûreté de l'Etat ». On sait que depuis plus d'une année, les autorités mènent une campagne ouverte contre les migrants africains subsahariens, surtout suite à un discours aux accents clairement xénophobes du président Kaies Saied, le 21 Février dernier, dans lequel il criait au « complot de ceux qui cherchent à repeupler la Tunisie par des populations noires » ! Bel écho à la « menace de remplacement » brandie par l'autre « purificateur », le Zemmour De France, de famille juive originaire de Sétif, en Algérie ! Suite à la violation du siège des avocats, le Haut-Commissariat de l'ONU aux Droits de l'Homme a dénoncé « l'intimidation et le harcèlement » dont sont victimes en Tunisie des avocats et journalistes critiques du gouvernement et de ses politiques migratoires. Son porte-parole, Mme Ravina Shamdasani, souligne que son organisation est « très préoccupée par le fait que des migrants, pour la plupart originaires du sud du Sahara, ainsi que les personnes et les organisations qui leur viennent en aide, en Tunisie, sont de plus en plus souvent pris pour cible ». Elle ajoute : « les perquisitions contre l'Ordre des avocats dans ce pays portent atteinte à l'Etat de droit et violent les normes internationales relatives à la protection de l'indépendance et de la fonction des avocats ». Bref, la Tunisie, 13 ans après son « Printemps », est verte de peur sous le règne de Kaies... Le président concentre tous les pouvoirs depuis juillet 2021. Elu, en Octobre 2019, comme un sauveur proche du peuple et Professeur- défenseur de l'Etat de Droit qu'il enseigne, il s'est progressivement octroyé les pleins pouvoirs depuis le 25 juillet 2021, quand il a suspendu le Parlement, supprimé l'immunité des parlementaires, limogé le gouvernement et pris le contrôle du Parquet Général ! De quoi rendre nombre de Tunisiens nostalgiques pour l'ère de Ben Ali qui, avant de sévir comme dictateur, était un ordinaire attaché militaire à l'ambassade de son pays à Rabat ! La peur tunisienne est nôtre ! Devant la dérive identitaire et anti-démocratique du Professeur-Président, on ne peut, au Maroc, rester insensible à la peur de la Tunisie... La peur tunisienne est nôtre. Car, on ferait preuve d'un tempérament infraternel que de s'adresser en tant que Al Maghreb Al Aqsa (Maroc) à Al Maghreb Al Adna (Tunisie) de manière impersonnelle. La Tunisie a toujours été plus proche de nous que ne l'indique la géographie. Il y a tant de choses que nous partageons avec l'ex contrée carthaginoise, l'ex contrée musulmane, « Ifriqiya », dont nos Almohades décidèrent de faire de Tunis sa capitale en 1159...De ces terres nous vinrent les mêmes conquérants d'Orient, Oqba Ibnou Nafiie et Moussa ibnou Noussair... Un même récit historique, un même patrimoine que domine la grande silhouette du savoir, fondateur universel de la sociologie, Ibn Khaldoun, dont nous partageons l'imaginaire et la « Moqaddima » ... Même nos dates d'indépendance officielle du joug colonial français sont du même mois et de la même année : 2 Mars et 20 Mars 1956 ! Et puis sans parler de nos fêtes et nos costumes quasi-similaires, nos musiques traditionnelles, synthèses arabo-andalou-amazighs (Andaloussi, Mouwachahates, Maalouf, Melhoun, Al Hadra...), nos mets bien semblables sur lesquels trône le couscous sans faire oublier la singularité de notre « Bastila » et celle de leur « mnasra »... Question à brûle-pourpoint : est-ce par peur bleue de voir toute cette « tunisité » ou « Maghrébité » disparaître et « remplacée », comme il dit, que le « Maître Président » Kaies Saied a campé le rôle de Maitre Pyromane pour brûler les vaisseaux en toile de fortune que près de 20.000 subsahariens transportent dans leur errance dans le désert, à la recherche du mirage des côtes de l'italienne île Lampedusa, face à Sfax, devenue ville cauchemar pour ce « péril noir » qui hante les nuits du Président de Carthage? Kaies, dont l'illustre homonyme de notre poésie arabe commune n'imaginait d'errance que par et pour l'amour, a, lui, oublié même l'historique et médiéval patronyme de son pays : Ifriqiya...Dont ses prédécesseurs, depuis le «Combattant Suprême», Bourguiba, ont usé et abusé pour marquer leur ancrage bienveillant et non moins conquérant vis-à-vis du continent noir : Agence Tunis Afrique Presse (TAP), Centre Africain de...Société africaine de...multiples domaines divers et variés estampillés « Afrique » en Tunisie... Autant dire que le Kaies de Carthage ne peut faire changer de continent à « Ifriqya ». Ni espérer notre indifférence à Al Maghreb Al Aksa aux combats des tunisiens et tunisiennes que lui, le Suprême Patricien, prend pour une plèbe impunément gouvernable pour la « protéger », malgré elle, contre les « hordes barbares » – et noirs ! – déferlant du sud... Vigilance ! Face au «Saied» de Carthage, esclave de ses lubies suprémacistes...possiblement contagieuses jusqu'à Al Aksa !