Enveloppé dans sa jellaba pour cacher sa corpulence, assis sur une peau de mouton lainée, les pieds en tailleur, Abdellah est adossé au mur du marabout. Une position qui lui permettait de contrôler l'ensemble du mausolée, de la rentrée aux autres coins. Un chapelet à la main, et alors que son index faisait passer les perles en bois noir, sa tête dodelinait dans un mouvement pendulaire de faible période qui semble synchronisé avec le passage des graines du chapelet. La moustache un peu plus taillée que la barbe pour prendre une distance avec les autres prédicateurs qui estiment que leur croyance sera remise en question si leur moustache n'est pas complétement rasée. Abdellah avaitles yeux mi-clos.Il ne les ouvrait entièrement que pour apprécier, à travers les gros verres de ses lunettes,la présence autour du tombeau du saint. De temps à autre, il se mouvait de sa place pour faire sept tours au trot autour des allées du mausolée. Il ponctuait ses pas en prononçant des adresses pieuses afin que l'ensemble des présents soient satisfaits par la réalisation de l'objectif de leur visite. Une fois assis de cette gymnastique, il éructait d'une manière ostentatoire. Ses rots étaient le signe qu'il était en phase avec les « gens de Dieu », maîtres du lieu et serviteurs de ses visiteurs. C'est alors qu'une femme d'un âge certain s'avança vers lui. Elle le faisait en s'appuyant sur ses deux mains et en trainant ses pieds ; par déférence, elle ne voulait pas se mettre debout en allant vers lui.Il reconnut en elle l'une de ses tantes lointaines. Elle s'approcha de l'oreille tendue de Abdellah pour lui faire part de ses doléances. « Il s'agissait de sa fille. Mariée juste après sa puberté, elle a eu sept grossesses. Elle n'a eu que des filles. Quand elles jouent ensemble, on ne peut distinguer la mère de sa progéniture féminine. C'est elle qui s'occupe du foyer au quotidien, précisa-t-elle. Le mari dont les affaires réussissent, à part celle d'avoir un garçon, commence à faire des remarques insidieuses sur ses biens et le risque de voir ses derniers profiter à d'autres. Il a même insinué de prendre une seconde épouse pour s'assurer d'une descendance mâle. C'est pour éviter cette bigamie qu'elle venait le voir sur les conseils de l'une de ses proches. ». Il lui parlait,le regard au-dessus de la monture de ses lunettes. Abdellah fixait toujours par le regard son interlocuteur pour mieux emporter sa conviction. « Qu'ils consolident leurs semences en s'abstenant de copuler ; qu'ils suivent un régime alimentaire adéquat comme indiqué et qu'ils s'activent beaucoup plus qu'ils ne le faisaient. ». La femme d'un âge certain tomba sur l'épaule de Abdellah et lui remit un billet dans sa main comme pour le saluer. « Je m'engages à vous faire une offrande conséquente Sidi. ». Elle s'en alla, plus alerte qu'auparavant ; comme si elle avait déposé un poids qui pesait sur ses épaules. Toutefois, elle est devenue plus préoccupée par cette situation de distinctions basées sur le genre dans la société ; particulièrement celles concernant le statut de la femme et des enfants dans le code de la famille. Elle se promettait d'aller plus loin dans la compréhension des conditions de sa fille et des autres femmes pour l'égalité. Elle se rappela soudain que le terme de « moudawanna » était sur toutes les langues ces derniers temps. Certains en faisaient un problème de religion et prônaient « la tutelle de l'homme sur la femme » allant jusqu'à qualifier de mécréants celles et ceux qui expliquaient la nécessité de réformer et de reconnaître l'égalité entre les sexes.Ces derniers expliquaient la réalité vécue par la femme, par l'enfant, par la société, dans un monde en évolution. Ils proposaient des mesures conformes aux fondamentaux de notre société et permettant son émancipation. Ses certitudes se faisaient de plus en plus fortes,sans pour autant faire disparaitre ses interrogations immédiates sur le sort du ménage de sa fille et de ses petites filles.La huitième grossesse serait-elle celle qui va permettre à sa fille de retrouver la confiance de son époux en donnant naissance à un héritier ? Pourquoi cette discrimination entre la fille et le garçon dans l'héritage ? Pourquoi cette injustice alors que l'on ne cesse de parler d'égalités.