Mohamed Nait Youssef «La Nuit sacrée» (seuil, 1987), traduit en quarante-sept langues, est une œuvre marquante du romancier, poète et peintre, Tahar Ben Jelloun. Ce roman a reçu le prix Goncourt, en 1987. Ce fut un événement ; car c'était la première fois qu'un romancier issu du continent africain recevait cette récompense littéraire prestigieuse. Deux ans après, Ahmed, «L'Enfant de sable »(1985), a grandi dans «La Nuit sacrée». Il s'agit bel et bien d'une suite. On dirait un conte oriental. Zahra est la narratrice du roman. C'est le symbole de la souffrance, de la poisse et l'échec même de toute une société. Elle est née fille, mais elle a grandi comme un garçon pour sauvegarder l'''honneur'' d'un père qui n'a eu que des filles. Une rose fanée ! Elle a été élevée ainsi: «Ni un corps de femme plein et avide, ni un corps d'homme serein et fort ; j'étais entre les deux, c'est-à-dire en enfer.» À travers le regard de la protagoniste principale, le roman, raconté à la première personne, dénonce l'autorité patriarcale et la reproduction sociale. Zahra avait joué le jeu du mâle, un rôle qui lui a été imposé. «Rappelez-vous ! J'ai été une enfant à l'identité trouble et vacillante. J'ai été une fille masquée par la volonté d'un père qui se sentait diminué, humilié parce qu'il n'avait pas eu de fils. Comme vous le savez, j'ai été ce fils dont il rêvait. Le reste, certains d'entre vous le connaissent ; les autres en ont entendu des bribes ici ou là. Ceux qui se sont risqués à raconter la vie de cet enfant de sable et de vent ont eu quelques ennuis : certains ont été frappés d'amnésie ; d'autres ont failli perdre leur âme. Mais comme ma vie n'est pas un conte, j'ai tenu à rétablir les faits et vous livrer le secret gardé sous une pierre noire dans une maison aux murs hauts au fond d'une ruelle fermée par sept portes.», a-t-elle révélé. «La Nuit sacrée», le décès de son père au cours de la 27ème nuit de Ramadan marque un tournant dans sa vie. Une délivrance. Zahra va, ainsi, se libérer de ce fardeau qui pesait lourd sur ses épaules. Et puis, une nouvelle vie commence depuis. Redevenue fille, la narratrice a recommencé un nouvel épisode dans son existence en partant à la quête de soi, d'une identité, d'un sens à sa vie. «Ce qui importe, c'est la vérité. À présent que je suis vieille, j'ai toute la sérénité pour vivre. Je vais parler, déposer les mots et le temps. Je me sens un peu lourde. Ce ne sont pas les années qui pèsent le plus, mais tout ce qui n'a pas été dit, tout ce que j'ai tu et dissimulé. Je ne savais pas qu'une mémoire remplie de silences et de regards arrêtés pouvait devenir un sac de sable rendant la marche difficile.» Pour ce faire, il fallait alors parcourir un long chemin peuplé de solitude, de persévérance, d'espoir et de rêve. Une espèce de reconstruction, profonde. «Le temps était impatient. Et moi, j'enjambais le temps hors du temps, à la lisière du rêve.» Après la mort du père, Zahra pourrait désormais jouir de sa féminité, de sa vie. Hélas, le malheur est collé à la peau de la protagoniste. Comme si c'était son sort... douloureux. Par ailleurs, Tahar Ben Jelloun a ouvert le récit de son roman par un préambule consacré à la présentation de son personnage Zahra qui nous livrera son histoire par la suite dans de nombreux micro-récits braquant les projecteurs sur sa trajectoire : ses rencontres, ses aventures et ses multiples déplacements. Zahra n'en sort pas indemne ! «On peut oublier un visage mais on ne peut tout à fait effacer de sa mémoire la chaleur d'une émotion, la douceur d'un geste, le son d'une voix tendre.» En effet, la narratrice nous amène dans les différents endroits et itinéraires qu'elle a parcourus : le hammam, la maison du Consul, la forêt, la prison. Le style du roman est captivant. Tahar Ben Jelloun a cette magie de guider le récit jusqu'au bout avec une belle écriture romanesque, détaillée et regorgeant d'images et de métaphores. En réalisme et imaginaire, l'univers étrange, mythique, fantastique de «La Nuit sacrée» dresse un portrait noir de la société marocaine de l'époque en pointant de doigt sur le patriarcat, la misogynie, la pauvreté...