Par Jamal Eddine Naji Jeudi 29 Février, rue Arrachid, Rond-point Naplouse, à Ghazza Nord, l'armée de Netanyahu tire sur la foule affamée et amassée autour de quelques camions d'aide humanitaire. Bilan : plus de 110 morts et près de 800 blessés évacués sur des charrettes... Ghazza est devenue « zone de mort » concède pour la énième fois l'ONU. Il y a quelques jours, tous les écrans du monde, hors Ghazza, recevaient les images d'enfants à Rafah (Ghazza Sud) qui enfouissaient dans leurs petites poches des poignées de farine mêlée à de la terre et à des débris de gravas parce que cette farine était tombée de sacs éventrés par des adultes affamés qui assaillaient les rares camions d'aide humanitaire rescapés des barrages de blindés de la soldatesque de Netanyahu. Soldatesque dont la rage génocidaire (risque souligné comme avéré par la Cour Internationale de justice) opte maintenant pour l'arme de la faim, moins coûteuse, et à bas bruit, que les obus, les bombardements et les exécutions indiscriminées, même d'enfants et d'opérés dans les hôpitaux ! « Sur les 700 000 personnes qui souffrent de la faim dans le monde, quatre sur cinq vivent dans cette petite zone (...) plus d'un demi-million de personnes sont confrontées à une famine très grave et exigeant un accès humanitaire sans entrave à Gaza » crie le si impuissant Secrétaire Général de l'ONU dont le Conseil de sécurité a été alerté par le PAM (Programme alimentaire mondial) d'une famine imminente dans le nord de Gaza, où aucun convoi humanitaire n'a pu se rendre depuis le 23 janvier : «Si rien ne change, une famine est imminente dans le nord de Gaza», déclare Carl Skau, Directeur exécutif adjoint du PAM, tandis que son collègue du bureau humanitaire de l'ONU (OCHA) Ramesh Rajasingham mettait en garde contre une «famine généralisée presque inévitable». Un jeune gazaoui lâche à un micro : « certains parmi nous n'hésitent plus à manger des pigeons morts, des animaux de trait, ânes... ». Les images des petits gazaouis affamés, et celles, plus récentes, de jeudi dernier – ce mitraillage des enfants et adultes à la quête d'aide humanitaire – forgeront, à coup sûr, l'imaginaire et les consciences des générations palestiniennes futures si jamais elles voient le jour...Cette nouvelle « Naqba » ou « Shouha », plus tragique que celle de 1948 (30.000 morts contre 15.000 ; plus de 1,5 million déracinés contre 700.000, plus de 700.000 blessés) accusera demain toute l'humanité pour sa cynique surdité, sa systématique lâcheté, sa complicité plus ou moins déguisée. Rares sont les voix qui osent faire défaut à cette assassine connivence inavouée, plus ou moins franche, en tout cas, manifeste. Rares sont les justes qui dénoncent cette descente en enfer (israélien) de toute l'humanité piégée à Ghazza. Rares, elles le sont, notamment en France où toutes les tribunes, les réputées lucides, comme les recyclées dans un antisémitisme opportuniste, détournent leur regard de Ghazza. Pour berner le monde entier, ne lui projeter, après l'horreur déflagrante du 7 Octobre, que le passé d'ailleurs et du régime nazi bourreau satanique de la « Shoah ». Pourtant... Le silence et la valeur humaine du «Non» Pourtant, certaines voix, en France, refusent ce tour de passe-passe qui, détail significatif et énorme, gomme des peuples sémites les palestiniens comme tous les arabes, pourtant descendants aussi d'Abraham (Ibrahim El Khalil) ! L'antisémitisme est réduit à ne concerner que les adeptes de la Thora, nullement leurs cousins sémites, les arabes ! Supercherie si commode et utile pour les thuriféraires rangés aux côtés des fossoyeurs et affameurs de l'humanité à Ghazza. Les rares voix françaises qui sont discordantes dans cet hallali anti-arabe et pro-Netanyahu, autrement antisémite, c'est-à-dire anti-palestinien, gardent en elles comme une lueur résiduelle de la singularité de leur patrie si fière encore de sa « Déclaration des droits de l'homme et du citoyen » de 1789, du « Non » téméraire et solitaire de l'appel du 18 Juin 1940 et du « Non » courageux à l'aventure guerrière américaine en Irak, qui a retentit le 14 Février 2003 dans l'enceinte des Nations Unies et dans le monde. Ces voix de justes et bien ajustées sur le fil des valeurs historiques de la France (membre du Conseil de sécurité en charge de la paix mondiale) ont pour noms, à l'autorité morale indéniable comme hommes d'Etat : Dominique de Villepin, Hubert Védrine, Jean-Luc Mélenchon. Ces voix représentent les trois pôles du spectre politique actuel de la cinquième république française, à l'exclusion de l'extrême droite, périlleuse quadrature du cercle pour la France en ce moment. Ces voix sont rares et surtout ostracisées sans que l'occupant génocidaire israélien en soit innocent, via des médias hexagonaux phagocytés ou tribunes franchement inféodées, ou par distillation de fake news ou de narratifs fallacieux introduits dans les flux et les rédactions, voire dans les discours de leaders politiques ou postures et déclarations d'institutions de la République. Le R'bati d'origine, Dominique de Villepin porte la voix du Gaullisme, architecture depuis plus de six décennies de la 5ème République, pour dénoncer la commission, « manifestement », de « crimes contre l'Humanité, dès lors qu'a été ciblée de façon systématique et générale une catégorie de population ». L'ancien locataire du quai d'Orsay, ex Premier Ministre de Jacques Chirac, fait ici référence aux critères juridiques du Statut de Rome de 1998, qui a créé la Cour Pénale Internationale. Résistant aux accusations déguisées en questions d'interviewers hostiles, il ajoute : « combattre le Hamas n'est pas enfermer deux millions de Palestiniens dans la bande de Gaza sans pouvoir sortir », en estimant que « le droit à la légitime défense n'est pas un droit à une vengeance indiscriminée, il n'y a pas de responsabilité collective pour un peuple pour les crimes commis par quelques-uns». Vilipendé sans cesse et de plus en plus ces jours-ci, par des porte-voix, à distance, de l'Israël de Netanyahu et de ses ministres suprématistes, Dominique de Villepin explique sa vision sur 20 ans, depuis la guerre d'Irak de 2003 : « Les Américains avaient cédé à une volonté de vengeance, s'étaient lancés seuls dans une volonté de punir, ont été entraînés dans une logique de force et ont cru qu'ils pourraient fabriquer un nouveau Moyen-Orient, apporter la démocratie par la violence et la force, résultat, ils ont enflammé...Ne recommençons pas les mêmes erreurs». Il poursuit : « Nous sommes essentiellement aujourd'hui, de la part du gouvernement Netanyahu, dans une politique de vengeance (...) Israël a droit à sa légitime défense, mais une légitime défense, ce n'est pas un droit indiscriminé à tuer des populations civiles ». « La Méthode » : Témoigner...au moins ! Le prédécesseur de Villepin aux affaires étrangères, ex secrétaire Général de l'Elysée sous Mitterrand, réunit dans sa voix la finesse de l'analyse froide des affaires du monde, avec une haute expérience de la diplomatie face à des stratèges de haut vol dans la géopolitique mondiale : Mitterrand, Reagan, Bush père, Clinton, Kissinger, Brejnev, Andropov, Gorbatchev, Deng Xiaoping, Jiang Zemin, Thatcher, Major...Qu'envisage réellement Israël de Netanyahu comme objectifs par sa guerre à Ghazza et pour le peuple palestinien en fin de compte ? Question de l'après conflit dont Védrine simplifie la réponse par l'évidence : « Pour le moment, ce sont les différentes nuances de la coalition de Netanyahu qui s'expriment. Ce sont les gens qui raisonnent comme les Américains face aux Indiens pendant la colonisation. Ils veulent les faire partir, faire partir les deux millions d'habitants de Cisjordanie, mettre la main sur Gaza, réinstaller les colons à Gaza » dit-il. Explicitant les manœuvres visant l'affaiblissement de la classe dirigeante, Il ajoute : « Ces gens du gouvernement d'Israël ne veulent pas qu'il y ait une autorité palestinienne reconstituée. Ils ont tout fait pour qu'Il n'y en ai pas pour pouvoir dire qu'il n'y avait pas d'interlocuteur ». Clair et visionnaire. Sans appel ni forfaitures politiciennes soucieuses de plaire à un camp, à conforter quelconque affiliation ou à éviter quelconque pression. Le tangérois d'origine, Jean-Luc Mélenchon (manifestant à 15 ans à Tanger pour l'indépendance du Maroc, confiait-il récemment) appelle, quant à lui, ses concitoyens à une « clameur populaire » : « A cet instant, des femmes, des hommes, des enfants, des familles par milliers, centaines de milliers, vivent sous les bombes, le massacre, les crimes, la frayeur et de cet enfer monte la clameur du peuple, la nôtre ». L'ex ministre socialiste du gouvernement de Lionel Jospin, plus jeune sénateur en 1986, actuel leader de La France Insoumise (LFI) prévient haut : « Quiconque ne fait rien, ou quiconque laisse faire ce qui rend possible ce massacre, est soi-même un criminel de guerre ». Témoin et accusateur de son peuple comme de tous les peuples, comme leader politique imprimant la scène française actuelle ! Un autre témoin, au-dessus de cette scène, adressant sa voix indignée et visionnaire à toute l'humanité, depuis plus d'un siècle jusqu'à nos jours, criait ce mois-ci, depuis Marrakech qu'il a choisie comme sa deuxième résidence à l'année, est le sociologue Edgar Morin, (né de parents juifs). Il nous somme de « Témoigner » au moins, avec le courage de « voir les choses en face » : « Je suis à la fois ahuri et indigné par le fait que ceux qui représentent les descendants d'un peuple qui a été persécuté pendant des siècles pour des raisons religieuses ou raciales, que les descendants de ce peuple qui sont aujourd'hui les décideurs de l'Etat d'Israël, que ceux-là puissent non seulement coloniser tout un peuple, le chasser en partie de sa terre et vouloir le chasser pour de bon, mais en plus, après le massacre du 7 octobre, se sont livrés à un véritable carnage massif sur les populations de Gaza et continuent sans arrêt, frappent évidemment civils, femmes et enfants et de voir le silence du monde, le silence des Etats-Unis, protecteur d'Israël, le silence des Etats Arabes, le silence des Etats Européens qui se prétendent défenseurs de la culture, de l'humanité, des droits de l'Homme... Je pense que nous vivons une tragédie horrible parce que nous sommes aussi impuissants devant cette chose qui se déchaine… Et au moins, je dis : Témoigner ! La seule chose qui reste si on ne peut pas résister de façon concrète, résistons dans notre esprit, ne nous laissons pas duper, ne nous laissons pas oublier, ayons le courage de regarder les choses en face et voyons tout ce que nous pouvons faire pour continuer à témoigner ». L'auteur de sa colossale et encyclopédique œuvre « La méthode » (6 volumes), propose à notre impuissance, français et autres, le témoignage comme « le plus faible niveau de la foi » ((اضعف الايمان. Portez haut vos voix, celles des palestiniens risquent de s'éteindre définitivement ! « Aux voix citoyens ! ».