Par M'barek Housni Ecrire, c'est être ailleurs tout en étant quelque part, c'est voyager. Mais voyager, c'est être réellement ailleurs, et vice versa. Un acte en deux temps, à la fois symbolique et réel. Blanquefort, une ville où ce double rêve est possible, me l'a fait savoir dès mon premier voyage, il y a treize ans. Déjà, une première idée émerge : une construction dans le temps où la plume s'aiguise petit à petit, chaque voyage apportant son lot de découvertes, se réalisant dans la continuité. L'ennui de la répétition sans un surplus, ou le routinier corollaire du stagnant, n'est pas blanquefortais. Blanquefort est une ville plusieurs fois fleurie, et c'est de cela qu'elle tire sa spécificité. Une plaque jaune avec quatre fleurs vertes dessinées l'indique à l'entrée de la ville. Mais l'est-elle vraiment, cette ville affichant un côté urbain ? Mes cheminements se faisaient à pied ou en bus (lianes 6, puis 29, et d'autres lignes qui changent incessamment, enfin le tram C puis D). L'âme livrée à l'exquise solitude de la contemplation révèle autre chose. C'est cette urbanité noyée dans le déploiement de la verdure luxuriante qui crée une sorte de symbiose entre les attraits de la ville et ceux de la campagne. Le ciment s'alliant au bois et à la terre afin de donner un équilibre naturel. Première conséquence : le défilé des saisons se ressent différemment, il est pastoral. L'herbe sous les pieds et les arbres à l'horizon du regard, mouillés en hiver, chauffés en été, hésitant entre ces extrêmes durant les autres saisons, rendent l'impression directement liée au « temps qu'il fait ». Cette expression de tous les jours prend la valeur d'un facteur qui inspire la plume. Cela s'appelle écrire loin de la fausseté, et le « temps qu'il fait », on le saisit du dehors, il s'installe d'office, et plus besoin de l'inventer. Par conséquent, les événements peuvent s'égrener. Or, écrire sur « les événements » dans mon cas exige une vie confrontée à la multitude plutôt qu'à la dispersion de l'être/êtres. Cela n'est possible qu'à la proximité citadine, là où les contacts se nouent et se dénouent. Un bistro, une église, un parc, un marché, un stade, un cimetière, des salles de spectacles, des boutiques de toutes sortes et des places, tout ce qui draine une foule, fédère les regards et crée des liens. Cela engendre la deuxième conséquence : écrire, simplement écrire, et cet écrit se défendra de lui-même. Car la ville lui offre spontanément l'accès, par la confrontation directe avec la nature tout en beauté, qui frôle l'édénique en ce qu'elle a d'apaisant et d'inspirant. Il y a cette flânerie dans la verdure, et ce regard proche du ciel. Friedrich Hölderlin, le grand poète allemand, celui par qui toutes les philosophies du monde d'après vont prendre le détour majeur qui sera déterminant, dit ceci : « L'élément violent, le feu du ciel et le silence des hommes […] cela m'a saisi et, comme on le dit des héros, je peux dire de moi aussi qu'Apollon m'a frappé. ». Il a enseigné comme précepteur, à Bordeaux toute proche, pour un riche Blanquefortais, dans cette Gironde de toutes les saisons. Il y a flairé cet air qui offre un bien-être où la douceur des paysages enclenche la nostalgie sur le moment pour la faire durer toute l'éternité d'une vie. Les quelques mois passés ici ont abouti à presque quarante années géniales faites de poésie qu'un Heidegger a élevée au summum de la vérité de l'être. Il suffit, par exemple, de faire un tour au Parc Majolan, près des vignobles, pour la sentir, entre eaux, allées et verdure, dans l'ombre qui enchante l'esprit et les clairières. Blanquefort est donc cette résidence girondine d'écriture où sont nés tant de rêves et tant de pages. Dans mon humble cas, j'ai eu accès à cette manne fécondatrice de textes. D'année en année, ils se sont écrits, amassés, puis publiés et lus. Les rêves devenus réalités sur le papier, des mondes créés pour le bonheur de laisser des traces de passages illuminés et heureux.