Par Mohammed Bakrim * * * Imad Badi, à qui le festival de Sidi Kacem rend hommage en novembre est né à Casablanca en 1988. Il signe son entrée dans le champ du cinéma par un « conte des quatre saisons » qu'il décline à travers un cycle de quatre courts métrages ; à savoir Jours d'été (2015) ; Jours de pluie (2016) ; Jour d'automne (2017) et Jours de printemps (2020). La référence à Eric Rohmer et son conte des quatre saisons n'est pas fortuite ; la dimension cinéphilique est, en effet, omniprésente dans le travail du jeune cinéaste marocain. Même s'il se situe dans une autre approche dramatique et esthétique qui ne rejoint que partiellement le cinéma intimiste de Rohmer. Dès le premier film de Imad Badi, des éléments reflétant des choix pensés laissent envisager un projet en cours. Il a tout de suite suscité intérêt et empathie. Impressions confirmées au fur et à mesure du déroulé des jours et des saisons. Cela intervient dans un contexte professionnel et culturel où le court métrage marocain donnait des signes d'essoufflement après des années d'embellie. L'arrivée de Badi et de ses amis (ils sont un petit groupe sympathique avec El Ghazouani Madane et d'autres jeunes loups) apparaît comme un signe d'espoir et de renouvellement. Ou du moins de quête d'un nouveau souffle, loin des sentiers battus du mélodrame, des clichés ou du réalisme post Casanegra. Hypothèse rendue légitime par la cohérence et la continuité qui caractérisent les quatre courts métrages du jeune cinéaste et qui trouvent leur illustration et une synthèse parfaite dans Jours de printemps qui clôt ce cycle. On y retrouve la confirmation de cette tendance à la « radicalisation » aussi bien dans la composition des plans que dans la construction des récits. Ma première réaction quand j'avais découvert Jours de pluie à Tanger (2017) fut de dire que nous sommes en présence d'un travail de dépouillement des images pour une « dépollution » du regard. Une action de salubrité culturelle. Une pause esthétique face au flux ininterrompu des images qui s'effacent l'une après l'autre. Face à la Youtubisation des images, Imad Badi exprime spontanément le désir de retrouver le cinéma des origines. Cette quête des origines se déclinent à travers tout un programme : travail sur le cadre, plan fixe, refus de la sur-dramatisation, aucune approche psychologique, attrait pour l'immobilité et le silence, lumières naturelles et sons directs, recours à des comédiens non professionnels... Il y a une scène dans Jours de pluie qui symbolise cette démarche et donne en donne une jolie métaphore. Il pleut des cordes, il y a des fuites d'eau chez les voisins... le personnage principal allume un feu avec du charbon de bois. Nous assistons à la scène pratiquement en temps réel : le temps de la narration épousant celui de l'action. La caméra filme en toute discrétion et il y a le feu qui couve attisé par le soufflet du personnage. Un moment passe, une belle fumée annonce que le feu prend...comme le plaisir de voir le film. C'est un cinéma de la méditation et de la contemplation où on prend son temps. C'est toute une philosophie de la réception qui est ainsi déclinée aux antipodes du régime du cinéma mainstream. Les quatre courts métrages sont ainsi portés par une constante que je pourrai résumer dans le rapport du corps à son espace. Et il y a une première ligne de partage que l'on peut relever dans le traitement de l'espace : Jours d'été et Jours de pluie se présentent comme des huis clos. Nous sommes en intérieurs et l'essentiel des éléments d'information sont renvoyés au hors champ. Là, il s'agit de réparer un ventilateur, ici il y a une fuite d'eau. Avec Jour d'automne et Jours de printemps Imad Badi porte, pour la première fois, sa caméra à l'extérieur. Des paysages de la campagne prometteurs d'un nouvel horizon mais en fait qui vont rejoindre très vite l'ambiance du huis clos puisque les personnages (l'enfant dans Jour d'automne, la femme dans Jours de printemps) restent confinés dans un périmètre. Et le spectateur reste à leur niveau ; il n'en sait pas plus ; il y a une économie de l'information qui laisse la place à l'imagination. J'aime beaucoup le plan final de l'enfant dans Jour d'automne ; occupé à chercher de l'eau chaude pour le cérémonial de la toilette mortuaire (mort du père ?), à son retour il voit le cortège funéraire quitter la maison. Il reste là regardant au loin, et nous avec lui : aucun mouvement d'appareil ne vient casser ce moment sublime. Dans Jours de printemps, l'espace n'est pas un simple décor. Il est le lieu privilégié où les corps se meuvent avec une infinie précision. Le choix de Fatima Akif est pertinent ; c'est elle qui porte cette activité diégétique. C'est une mère qui travaille à chercher du bois mort dans la forêt pour alimenter (vendre) le four du quartier. Elle marche, s'arrête, fixe un point...sort du cadre s'absente et laisse le spectateur se confronter au silence du cadre. J'aime beaucoup le plan où elle rejoint le four pour livrer sa cargaison de bois mais elle tombe sur un lieu fermé. Imad la filme en plan large multipliant les cadres à l'intérieur du cadre, doublant ainsi l'enferment du personnage. Vu de notre point de vue, on a l'impression d'une belle métaphore de la fermeture des salles de cinéma (voir photo du plan) : un distributeur qui ramène des films sans leur trouver preneur. Chez Badi, les personnages sont silencieux. Le corps et l'espace s'expriment à travers la multiplication des signes qui composent le plan. Un silence qui offre la possibilité d'une ouverture sur un ailleurs. Fatima Akif dans le rôle de la maman ne parle pas beaucoup dans le film. Un film d'ailleurs qui s'ouvre sous le signe de la sécheresse. Sécheresse à comprendre au-delà de sa dimension climatique mais aussi humaine : le rapport avec la bête malade développe un parallèle éloquent sur la nature des rapports inversés qui gèrent le commerce dominant entre les différents protagonistes. Un plan très original nous montre la maman (Fatima Akif) donnant le biberon à la bête malade. En fait, la bête de somme n'est pas celle que l'on pense.